Depuis
des années déjà, sur fond de réislamisation des 12 Etats du Nord du
pays à majorité musulmane, le Nigéria premier producteur de pétrole
d'Afrique, peuplé de 150 millions d’habitants, est le théâtre de
violences ethno-religieuses de plus en plus meurtrières qui menacent
l’unité même du pays. Ces violences intercommunautaires opposent grosso
modo les ethnies musulmanes du Nord du pays, plus pauvre, aux ethnies
chrétiennes originaires du Sud, plus riche. Elles ont déjà fait des
milliers de morts et elles pourraient même, à terme, dégénérer en guerre
civile. Il est vrai que cet antagonisme islamo-chrétien n’est pas
nouveau. Mais il s’est nettement intensifié depuis le début des années
2000, lorsque la Loi islamique, la charià, a été imposée dans 12 Etats
nordistes – gérés par des gouverneurs musulmans – aux minorités
animistes et chrétiennes, qui refusent de devenir des citoyens de
seconde zone.
L’intensité
du conflit est encore montée d’un cran à l’occasion de l’élection
présidentielle d’avril 2011, lorsque le candidat de l'opposition, le
général Buhari, musulman, originaire du Nord, a été battu par le
président chrétien sortant, Goodluck Jonathan, originaire du Sud, élu
avec 57% des suffrages. Loin de calmer le jeu, le candidat musulman,
mauvais perdant, a mis de l’huile sur le feu en dénonçant les soi-disant
« graves fraudes électorales dans le Sud chrétien » et en déplorant que
le président n’ait pas renoncé à sa candidature au profit d’un candidat
musulman, ceci au titre d’une coutume « d’alternance confessionnelle »
contestée. Mais le président Goodluck Jonhatan n’a violé aucun point de
la constitution et les observateurs internationaux ont salué la
régularité de l’élection. Cette dénonciation des fraudes imputées au
camp chrétien a contribué à attiser la haine des groupes islamistes du
Nord, qui exigent la pleine application de la charià, contestent
l’élection de « l’infidèle chrétien » Goodluck et appellent maintenant à
« purifier » le Nord musulman de toute présence chrétienne et
animiste.
Le
principal artisan de cette déstabilisation interne et de cette vague de
christianophobie éradicatrice, est le mouvement terroriste nigérien
Boko Haram. Son seul nom est tout un programme, puisqu’il signifie
littéralement "l'éducation occidentale est pêché". Lié à la fois à
Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI, implantée dans toute la région
saharo-sahélienne), aux Talibans afghans, puis aux Shabbab somaliens,
qui luttent eux aussi contre « tout ce qui vient de l’Occident chrétien »
et qui ont fait de la Somalie une place forte de la piraterie, Boko
Haram est une pièce centrale de l’internationale islamo-terroriste en
Afrique sahélienne et saharienne. Et elle n’a pas fini de faire parler
d’elle. La secte islamiste a en effet revendiqué la plupart des
attentats terroristes qui ont visé les chrétiens et l’Etat fédéral
depuis une dizaine d’année. Elle a également à son « actif »
l’attentat-suicide perpétré en août 2011 contre le siège de l'ONU, à
Abuja (25 morts), ceci alors même qu’elle avait été « détruite » en 2004
par l’armée nigérienne et que son chef avait été tué, ce qui en dit
long sur sa puissance et ses ramifications au sein de la société…
Vers un Nigéria « christianrein » : la solution finale des chrétiens du Nigéria ?
C’est
dans ce contexte général de descente aux enfers du Nigéria que 200
chrétiens du Nord du Nigéria ont été sauvagement tués juste après
l’élection présidentielle nigérienne d’avril 2011. Le bilan dressé, par
l'ONG Civil Rights Congress et la Croix Rouge faisait également état de
400 blessés et de 40 000 déplacés, de milliers de maisons, d’églises et
de commerces de chrétiens brûlés, etc. L’arrestation de milliers
d’émeutiers dans plusieurs villes de taille moyenne comme Kaduna ont
montré que ces massacres n’étaient pas le fait de quelques islamistes
isolés, mais de populations locales collectivement fanatisées contre des
chrétiens membres d’ethnies rivales. A la fin de l’année 2011, les
mouvements islamistes ont lancé une nouvelle vague d’attentats destinés à
terrifier les populations chrétiennes. Juste avant la veillée de Noël
2011, Boko Haram a fixé un ultimatum de trois jours aux chrétiens
installés dans le Nord musulman, les sommant de partir définitivement,
le but affiché étant de faire des Etats du Nord du Nigéria une terre
totalement purifiée de ses chrétiens et de ses « païens » animistes. Dès
le lendemain, le 25 décembre 2011, le groupe terroriste a lancé une
série d’attaques à la bombe qui a provoqué la mort de 80 personnes, la
plus sanglante ayant entraîné la mort de 37 chrétiens devant une église à
70 km d'Abuja, la capitale. L’année précédente, des attentats
revendiqués par Boko Haram avaient déjà tué une trentaine de chrétiens
en pleine fête de Noël. Le 4 janvier 2012, 18 autres chrétiens ont été
tués lors d’une nouvelle attaque perpétrée à Mubi, ville de l'Etat
d'Adamawa (Est du pays), situé au sud de l'Etat de Borno, bastion des
Boko Haram. Le lendemain, l’attaque surprise d’une foule de chrétiens
pleurant les morts de la veille fit cette fois-ci 21 victimes. Entre les
13 et 20 janvier, au moins 185 personnes ont été tuées à Kano, la
deuxième ville du Nigeria, lors d’une nouvelle série de fusillades et
d'attentats à la bombe. Ces attaques simultanées, qui rappellent le mode
opératoire d’Al-Qaïda, ont constitué la plus grande opération
terroriste meurtrière de Boko Haram depuis 2000. Le groupe
islamo-terroriste a démontré une nouvelle fois qu’il était capable de
défier directement les forces de l’ordre, brûlant des écoles et des
universités puis mitraillant des commissariats. Comme de coutume, Boko
Haram prétendait « répondre » aux raids policiers lancés peu avant
contre des séminaires islamiques suspects et « venger » de prétendus «
actes de blasphèmes » envers le Coran. A peine 48 heure après la
première série d’attentats, de nouvelles explosions ont frappé une
église catholique et un temple évangélique, tuant 10 personnes – dont un
policier et un soldat – dans les villes de Bauchi et de Tafawa Balewa,
situées, comme Kano, sur la ligne de partage entre le nord musulman et
le sud chrétien. Le 4 février, une dizaine de chrétiens ont également
péri dans une énième attaque terroriste perpétré dans une ville du nord
du Nigeria. Le bilan de l’année 2011 est particulièrement lourd : près
de 1000 chrétiens ont été assassinés par Boko Haram et d’autres groupes
islamiques implantés dans les 14 Etats du Nord du Nigeria, notamment
ceux de Kano, Kaduna, et Sokoto. Au total, depuis 2009, la secte
terroriste a causé la mort de plus de 1500 Nigériens, en majorité
chrétiens. Depuis, les chrétiens du Nord hésitent entre plusieurs
solutions : l’autodéfense, la fuite définitive vers le Sud
majoritairement chrétien-animiste, ou la partition pure et simple.
Boko Haram : christianophobie, anti-occidentalisme et alliance avec Al-Qaïda
Lors
d’un récent séjour dans les Etats du Golfe, les dirigeants
opérationnels de Boko Haram ont rencontré des leaders islamistes de
Médine (Arabie saoudite) – haut lieu du jihadisme salafiste
international – liés à Al-Qaïda dans la Péninsule arabique (AQPA) et à
AQMI. Dans plusieurs messages internet et vidéo, le porte-parole de Boko
Haram, Abou Kaka, s’est félicité du fait que le mouvement terroriste a
réussi à recruter de nombreux membres venus du Tchad, du Cameroun et du
Niger voisins, où AQMI est de plus en plus présente. Réunis à
Nouakchott, en Mauritanie, le 24 janvier 2012, les ministres des
Affaires étrangères des quatre pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger,
Algérie) menacés par le terrorisme et des délégués du Nigéria ont
confirmé l’existence de ces liens entre les Salafistes du Golfe,
Al-Qaïda (Aqmi) et Boko Haram, coupables non seulement d’innombrables
attentats meurtriers, mais aussi de multiples trafics et enlèvements. Et
depuis le renversement de Muammar Kadhafi par les forces occidentales
de l’OTAN et la fin du conflit libyen, les armes lourdes pillées ou
abandonnées dans les casernes libyennes ont afflué en masse dans les
quatre pays du Sahel pour alimenter les stocks d’AQMI ou d’autres
groupes terroristes salafistes comme Boko Haram.
Le
moins que l’on puisse dire est que les autorités nigériennes n’ont pas
été très efficaces dans leur lutte soi-disant totale contre Boko Haram.
Mais il est vrai que la tâche du Président nigérien Jonhatan Goodluck
n’est pas aisée, car le groupe islamo-terroriste jouit d’une popularité
officieuse croissante au sein de réseaux de mosquées, d’associations
islamiques et même de forces de l’ordre locales des Etats du Nord en
majorité musulmans. Or l’Etat fédéré a peu d’autorité sur les affaires
internes des Etats fédérés et peut difficilement exclure les
responsables musulmans controversés de l’administration centrale
elle-même, faute d’apparaître comme un gouvernement « chrétien et
anti-musulman ». Le combat entre la secte et l’Etat central risque donc
de durer encore longtemps. Pour certains, il ne s’achèvera qu’avec la
partition du pays, comme cela s’est passé au Soudan, divisé depuis 2009
en deux Etats, un Nord arabo-musulman et un Sud chrétien-animiste.
Le « syndrome du Soudan » : Nord musulman versus sud chrétien-animiste
Le
spectre d’une guerre civile ethno-religieuse est de plus en plus
présent au Nigéria, et le modèle de référence pour certaines
organisations de chrétiens-animistes du Sud, qui organisent leur
auto-défense et envisagent même une partition du Sud non-musulman, est
aujourd’hui le Soudan du Sud, indépendant depuis 2011 et reconnu par la
majorité des pays membres des Nations Unies. Certes, le scénario –
encore improbable – de la sécession, ne signifierait pas pour autant la
paix définitive avec le Nord musulman en voie de purification
ethno-religieuse. Car à l’instar du Sud-Soudan, le Sud du Nigéria
possède les principales réserves pétrolières du pays, source majeure de
conflit avec le Nord en cas de partition et de délimitation des
nouvelles frontières. Signe qui ne trompe pas : la ville de Tafawa
Balewa, située sur la ligne de partage entre le Nord et le sud du
Nigéria, est le théâtre des affrontements interconfessionnels et
interethniques de plus en plus fréquents et violents qui ont fait des
dizaines de morts en 2011. Selon les observateurs de la Croix-Rouge,
présents sur place, de nombreux membres de l'ethnie Igbo, de confession
chrétienne, fuient en masse le Nord-Est.
Les
oppositions entre le Nord et le Sud sont profondes. Elles sont fondées
sur trois dimensions superposées : divisions ethniques (entre ethnies du
nord et du sud), religieuses (entre musulmans et chrétiens-animistes),
et économiques (la plus grande pauvreté du Nord face à la supposée
richesse des chrétiens du Sud, où se trouvent les plus grandes réserves
d’hydrocarbures). C’est ainsi que lors d’un entretien accordé en
décembre dernier au quotidien britannique The Guardian, le porte-parole
de Boko Haram, Abou Kaka, a affirmé que l’action de son mouvement «
durerait jusqu'à ce que le pays soit totalement gouverné par la charià»
et que le gouvernement nigérien central aura été mis à genoux". Face aux
actions terroristes et à la popularité croissante de Boko Haram, le
président nigérien Goodluck Jonathan est de plus en plus pessimiste pour
l’avenir de son pays. Il a même récemment déclaré que « la lutte contre
la secte islamiste est « plus compliquée que la guerre civile
sécessionniste du Biafra » qui avait pourtant fait environ un million de
morts entre 1967 et 1970… Ceci n’a pas empêché le président nigérien de
tenter de rencontrer des représentants de Boko Haram ces dernières
semaines pour trouver une sortie de crise que l’Etat central n’est pas
capable d’obtenir par la seule force militaire. Mais du côté des
chrétiens nigériens, la solution qui est de plus en plus préconisée est
l’auto-défense et la résistance. C’est ainsi que le Pasteur Ayo
Oritsejafor, un important responsable chrétien nigérien protestant, a
récemment appelé sa communauté à «se défendre» et à aller « aussi loin
qu'il faudra »… Ces déclarations lui ont d’ailleurs valu les foudres de
Khalid Aliyu, secrétaire général de la JNI, un regroupement
d’organisations musulmanes. Plus que jamais, l’avenir du Nigéria est
menacé, et la guerre civile nord-sud/chrétiens-animistes/musulmans a
déjà commencé.
Alexandre del Valle
No comments:
Post a Comment