LE Mexique est un des très grands pays émergents : le 5ème en termes de PIB après les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), il devance la Corée du Sud et, plus largement, la Turquie et l’Indonésie [1]. Son PIB par habitant est proche de celui de la Russie, équivalent à celui du Brésil (qu’il devance encore de 27 % en parité de pouvoir d’achat - PPA), et dépasse largement ceux des grands pays asiatiques.
Mais, malgré un environnement économique favorable (prix élevé et croissant du pétrole, consommation soutenue aux États-Unis), la croissance annuelle moyenne du PIB mexicain sur la période 2000-2009 n’a été que de 1,3 %, à peine supérieure à celle de la population (+1,1 % par an). Le Mexique a ainsi perdu du terrain par rapport à la Chine et à l’Inde, mais aussi par rapport aux autres pays latino-américains (Brésil, Colombie, Chili) et aux autres grands émergents (Turquie, Pologne, Indonésie). Le Mexique dispose pourtant d’avantages évidents : une population et un marché intérieur de bonnes tailles, des ressources naturelles (énergétiques, minières et agricoles) au-dessus de la moyenne (même si la ressource en eau est en train de devenir une contrainte pour l’agriculture), une géographie favorable au développement (pas d’obstacle majeur aux échanges internes et proximité des États-Unis) renforcée par le traité de libre-échange avec les États-Unis (Alena).
On ne peut pas déterminer de raison simple et encore moins unique à cette performance décevante en matière de croissance. Des freins évidents peuvent cependant être identifiés : l’inefficacité du système éducatif (plus que son insuffisance en volume : entre 2000 et 2007, le Mexique a affecté en moyenne 25 % des dépenses publiques à l’éducation, soit nettement plus que la plupart des pays de niveau de développement comparable), la médiocrité de la gouvernance (Voir Infra), la faiblesse de l’état, la concurrence trop limitée dans beaucoup de secteurs (un cas emblématique est celui des télécommunications, dans lequel Telmex opère 92 % des lignes fixes et sa compagnie sœur Telcel 72 % des mobiles ; la situation y évolue toutefois lentement, avec la montée en puissance de Telefónica), une législation du travail trop rigide qui handicaperait l’embauche (ce dernier point est discuté : il est effectivement possible qu’elle gêne les PME, mais les grandes entreprises la gèrent sans difficulté), etc.
Tableau 1
Le Mexique et les autres grands pays émergents *
Le Mexique et les autres grands pays émergents *
* Chiffres observés ou estimés pour 2009 sauf indication contraire. Sources : IFI, Datastream, Moody’s, Crédit Agricole S.A.
Cette modestie de la croissance affecte l’attractivité du Mexique, même si le flux d’investissements étrangers est et restera soutenu, en raison de la taille du pays et du marché local, et de la proximité et de l’accès privilégié au marché américain.
Inégalités et tensions sociales
Mais, surtout, la faible croissance des dernières années ne permet aucune redistribution de richesse. Or, le Mexique reste un pays très inégalitaire, avec en particulier des écarts de développement considérables entre le Nord relativement riche, et le Centre et surtout le Sud (Chiapas, Oaxaca, Guerrero). La montée des tensions sociales a déjà failli conduire lors des présidentielles de 2006 à une victoire d’une gauche radicale (le Parti de la Révolution Démocratique, PRD). Celle-ci est aujourd’hui affaiblie, mais l’insatisfaction de la population s’est exprimée lors des élections de juillet 2009 par la déroute du parti au pouvoir (le Parti d’Action Nationale, PAN) et la victoire du vieux parti dominant (le Parti Révolutionnaire Institutionnel, PRI).
Graphique 1
Évolution du PIB en volume dans quelques grands pays émergents
Évolution du PIB en volume dans quelques grands pays émergents
Source : Sources nationales
Une « seconde révolution mexicaine » est très improbable, mais faute d’une croissance plus soutenue, les problèmes sociaux vont s’aggraver, et avec eux le risque d’une inflexion sensible de la politique économique, dans le sens d’un populisme lui-même porteur de risques bien connus en Amérique latine.
REFORME DES FINANCES PUBLIQUES ET MALEDICTION DU PETROLE
La dette publique mexicaine ne représente que 27 % du PIB. Son poids se compare favorablement à la situation des autres pays notés BBB par les agences de notation, et reste tout à fait supportable. La solidité financière du pays est renforcée par la gestion prudente des finances publiques.
Cependant, malgré plusieurs réformes fiscales limitées, les recettes publiques non pétrolières ne représentent que 11,5 % du PIB, auxquels s’ajoutent 6,5 % assis sur la production et la distribution de pétrole et de gaz. Or la production de Pemex est tendanciellement décroissante : d’un pic de plus de 3,4 millions de barils par jour (b/j) en 2004, elle est tombée ces derniers mois autour de 2,6 millions, avec une chute de 200 000 b/j depuis un an.
Des experts [2] estiment que la production mexicaine tombera, en l’absence de projets nouveaux, à moins de 1,5 million b/j en 2020 [3]. Or, toutes choses égales par ailleurs (en particulier au niveau actuel des cours), une chute de la production à 2 millions b/j impliquerait des coupes de 10 % dans les dépenses publiques pour maintenir le déficit budgétaire à son niveau actuel.
Pour que le budget national retrouve de l’espace, les autorités mexicaines vont donc devoir réformer sur deux fronts : d’une part dans le secteur pétrolier, pour reconstituer les réserves et relancer la production, et d’autre part en matière fiscale, pour réduire la dépendance au pétrole.
Les réserves prouvées de pétrole (aujourd’hui 14 milliards de barils, soit 15 ans de production au niveau actuel) sont en baisse : les modestes découvertes ne compensent plus la production depuis 1999. Sans investissements massifs en eaux profondes dans le Golfe du Mexique (où il est estimé que les réserves pourraient atteindre 50 milliards de barils), la production et les réserves continueront à baisser. Or, Pemex n’a pas les moyens de ces investissements et les multinationales pétrolières n’apporteront les ressources nécessaires que dans le cadre de contrats de partage de la production nouvelle, actuellement interdits par la Constitution mexicaine. La réforme du secteur énergétique de novembre 2008 laisse un peu plus de liberté à Pemex dans la gestion de ses relations avec ses contractants, mais confirme cette restriction.
Le principal obstacle à une réforme plus profonde est clairement politique : la nationalisation des compagnies pétrolières étrangères (et la création de Pemex) en 1938 est un acte fondateur du Mexique « moderne ». Au-delà de l’obstacle constitué par un syndicat très puissant et qui s’opposerait avec énergie à une ouverture du secteur qui menacerait à terme ses privilèges, aucun parti politique ne se risque à prôner publiquement une réforme qui entraînerait une disparition du monopole de Pemex (pas même le PAN qui s’en est bien gardé depuis son accession au pouvoir en 2000, y compris quand il était dominant au Congrès). Dans le contexte politique actuel où le PRI est majoritaire avec ses alliés (258 sièges sur 500 à la Chambre des Députés), une telle réforme est devenue très improbable.
Avant la présentation du budget 2010, le président Calderón avait prononcé un discours assez alarmiste sur l’état des finances publiques mexicaines. Le gouvernement mexicain a donc présenté une proposition de budget qui, sans être très agressive (il s’agissait de la faire accepter par l’opposition), essayait tout de même d’élargir un peu la base fiscale, avec notamment une nouvelle « taxe anti-pauvreté » (destinée aux programmes sociaux du gouvernement) de 2 % sur tous les biens et services. Mais celle-ci a été refusée par les députés et remplacée par une hausse de 1 % de la TVA. Rien n’est donc venu renforcer la position budgétaire à moyen terme du Mexique.
Le consensus sur la nécessité d’une réforme fiscale est pourtant plus facile à établir que sur le secteur pétrolier. Mais la reprise de contrôle du pouvoir législatif par le PRI est peu favorable à la coopération entre le gouvernement et l’opposition. « Le PRI n’a pas de responsabilité conjointe avec le gouvernement » affirmait ainsi Enrique Peña Nieto, gouverneur PRI de l’État de Mexico.
DEUX NOUVEAUX DEFIS A RELEVER
La détérioration de l’ordre public
Comme beaucoup de pays latino-américains, le Mexique a une histoire marquée par la violence. Cependant, la « dictature molle » [4] du PRI de 1929 à 2000 a assuré au pays une paix et une stabilité que le reste de la région n’a en général pas connu et qui, malgré ses faiblesses, a sans doute contribué à l’avance relative du Mexique par rapport au reste de l’Amérique latine.
La situation a radicalement changé : le Mexique est devenu l’un des pays les plus violents au monde. La frontière nord est de loin la plus affectée, mais la violence touche aussi la côte pacifique (Sinaloa, Michoacán, Guerrero), la capitale, Cancún, et même, plus récemment, Monterrey.
La principale raison de cette dégradation est la montée du trafic de drogue et la guerre féroce entre les groupes (« cartels ») luttant pour son contrôle. Il est de plus en plus souvent fait référence à une « colombianisation » du Mexique. La montée de la violence rappelle effectivement celle observée en Colombie dans les années 1990, mais les différences entre les deux pays sont réelles : il n’y a pas au Mexique de guerrilla d’origine politique qui contrôlerait une part significative du pays ; la géographie mexicaine est nettement moins propice que la colombienne à la persistance d’une rébellion armée ; enfin, la frontière commune avec les États-Unis rend ceux-ci d’autant plus intéressés à ce que le Mexique ne glisse pas dans la catégorie des failed states. Reste que certains éléments de comparaison sont en défaveur du Mexique : en particulier, la force publique y est beaucoup plus morcelée, désorganisée, et sans doute plus compromise qu’en Colombie.
Le président Calderón a fait de la lutte contre les cartels une de ses priorités, et l’armée a été temporairement déployée dans le pays pour des missions d’ordre public. Quelques résultats positifs ont été enregistrés, mais le succès exigera persévérance, moyens financiers, soutien des États-Unis, amélioration de la gouvernance, et des démonstrations de force qui ne seront pas toujours populaires.
Une gouvernance médiocre
Le Mexique souffre d’une gouvernance médiocre. Ainsi, sur la moyenne des 4 indicateurs "économiques" de gouvernance de la Banque Mondiale (en excluant les deux indicateurs les plus "politiques"), le Mexique se classe loin derrière le Chili ou l’Uruguay, mais aussi derrière la Turquie, le Brésil et la Colombie. Pire peut-être, le Mexique régresse légèrement, et l’alternance politique a déçu : alors qu’il progressait jusqu’en 2002, pour se situer alors au-dessus de la moyenne des pays, il est aujourd’hui en dessous.
Parmi les 4 indicateurs économiques, celui pour lequel le Mexique est le plus mal classé et où sa position se dégrade rapidement est le "respect de la loi" (ranking de 29,7 en 2008 : plus de 70 % des 212 pays classés auraient une meilleure performance que le Mexique). Cela est évidemment lié à la montée de la violence et à la perception par la population et les observateurs d’une impunité presque générale. Plus profondément, il est clair que 70 ans de domination continue d’un seul parti constituent une mauvaise préparation à une bonne gouvernance.
Quelques éléments positifs cependant : le Mexique reste relativement bien classé pour les indicateurs "qualité de la régulation" et "efficacité du gouvernement", et l’indicateur "contrôle de la corruption" s’améliore depuis l’arrivée de Felipe Calderón à la présidence.
Graphique 2
Moyenne de 4 indicateurs de gouvernance * de la Banque Mondiale
Moyenne de 4 indicateurs de gouvernance * de la Banque Mondiale
* efficacité des autorités, qualité de la régulation, respect de la loi, lutte contre la corruption. Source : Banque mondiale
PERSPECTIVES : TOUT DEPENDRA DE LA CAPACITE A REFORMER
Aujourd’hui, l’économie mexicaine est déjà en train de rebondir. Il ne faut cependant pas s’attendre à une reprise spectaculaire. L’activité au Mexique est très corrélée à la demande des États-Unis. Or, cette dernière restera vraisemblablement contrainte par la nécessité des ménages nord-américains de ré-équilibrer leurs bilans personnels. Les conséquences sur les différents secteurs de l’économie mexicaine devraient être contrastées : le tourisme pourrait, par exemple, être assez durablement impacté, alors que le secteur automobile (le Mexique est avant tout un producteur de petits véhicules) pourrait retrouver plus rapidement une demande…
Les perspectives à moyen terme sont, elles, plus incertaines. Rien n’interdit au Mexique des performances comparables à celles du Brésil. Son marché intérieur représente (en PPA) 72 % de celui du Brésil, son système bancaire est lui aussi solide, son économie est presque aussi diversifiée et, sur plusieurs points, le Mexique dispose même d’atouts uniques : une dette publique modérée, une proximité des États-Unis qui devrait faciliter le processus de rattrapage.
Mais les blocages ne sont pas minces : une fiscalité impuissante, une incapacité à exploiter efficacement la principale ressource naturelle du pays, un système éducatif peu performant, une gouvernance médiocre… auxquels on peut ajouter un système de représentation politique qui a jusqu’ici interdit les réformes structurelles indispensables et contribué à la détérioration récente de l’ordre public. Il est peu probable que des réformes d’envergure soient entreprises avant la prochaine échéance électorale (2012). D’ici là, le Mexique restera sans doute sur un chemin de croissance en-deçà de son potentiel.
Au-delà, deux scénarios sont possibles. Soit le Mexique, après une réforme politique qui renforcera la gouvernabilité du pays, est capable d’un consensus sur ces réformes, et la croissance pourrait alors dépasser de manière soutenue 5 % par an, soit les autorités mexicaines se limitent à une « bonne gestion » de finances publiques déclinantes et à des réformes édulcorées par les arbitrages entre partis, et une croissance moyenne de 2,5 % serait déjà une performance. Nous persistons à espérer que le premier scénario est le plus probable.
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