L’affaire d’espionnage industriel de Renault, qui a conduit à la suspension de trois cadres du constructeur automobile français, a pris mardi 11 janvier un tour diplomatique. Alors que la piste d’une fuite vers la Chine de secrets touchant à la voiture électrique est privilégiée par le contre-espionnage français, selon la presse et les spécialistes de l’intelligence économique, la Chine a dénoncé des accusations "inacceptables" contre elle.
Cette piste n’a été confirmée ni par Renault ni par l’Etat français, son actionnaire à 15 %, qui a immédiatement assuré, par la voix de François Baroin, porte-parole du gouvernement, qu’"il n’y a pas d’accusation officielle de la France et du gouvernement français à l’égard d’aucun pays aujourd’hui".
Ali Laïdi, expert des questions d’intelligence économique au sein de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), décrypte les possibles implications diplomatiques de cette affaire.
Dans l’affaire de l’espionnage industriel par trois employés de Renault, la piste chinoise vous semble-t-elle crédible ?
Au regard de tous les éléments dont nous disposons aujourd’hui, on sait que la piste chinoise est crédible car d’une part, le gouvernement a demandé aux services de renseignements généraux de travailler sur cette piste-là. Par ailleurs, plusieurs précédents attestent de l’intérêt porté par la Chine à l’espionnage de technologie automobile, à l’instar du dernier cas retentissant de la stagiaire chinoise dans la société Valeo qui a été condamnée pour "abus de confiance" pour avoir récupéré dans son disque dur des milliers de données de l’équipementier automobile.
Enfin, de manière générale, il suffit de regarder quelles nations peuvent être intéressées à récupérer de la technologie automobile. Les seules nations qui cherchent à prendre des parts de marché à des secteurs matures de l’automobile que sont la France, l’Allemagne et les Etats-Unis et qui ont, à cette fin, besoin de passer un cap technologique pour compenser le retard qu’elles ont dans le secteur des moteurs traditionnels, sont l’Inde et la Chine. Or, elles ne peuvent compenser ce retard qu’en acquérant la technologie électrique.
Que vous inspire la réaction de la Chine qui s’offusque de la mise en cause de ses entreprises dans cette affaire d’espionnage industriel ? Cela traduit-il le rôle de l’Etat lui-même ?
Les Etats ont toujours été partie prenante dans les problématiques économiques. Ils ont toujours été des acteurs qui permettent de "booster", favoriser ou protéger un secteur, en allant notamment chercher des informations chez les autres Etats. Ce rôle a été remis en cause depuis une vingtaine d’années par le rejet du rôle de l’Etat par la théorie libérale. Mais ce rôle est toujours présent, et ce d’autant plus en Chine, où il n’existe pas de secteur privé de l’information.
C’est un domaine très sensible en Chine. Seul le parti unique peut chercher des informations, donc il n’est pas possible que des acteurs privés fassent du renseignement. Aucune entreprise chinoise de taille importante ne possède de services pour faire de l’espionnage pour son propre compte sans l’aval du Parti communiste chinois. C’est très différent des Etats-Unis ou de l’Europe où certaines sociétés possèdent leur département d’intelligence économique, et où il existe également des prestataires privés, comme des sociétés d’intelligence économique, qui font de la recherche d’informations pour de grandes entreprises du CAC 40.
La Chine est par ailleurs souvent pointée du doigt pour espionnage industriel par les Occidentaux, ainsi que sur la cyber-sécurité, avec des attaques sur les réseaux informatiques.
Selon vous, pourquoi la France a-t-elle choisi de faire profil bas face à la mise en cause de la Chine dans cette affaire ?
Sur le continent européen, la France est le pays qui a pris la question de l’espionnage industriel le plus à bras-le-corps depuis 1994 et l’un des rares pays qui dispose d’un délégué interministériel à l’intelligence économique. Mais, dans le monde qui s’est dessiné à la chute du mur de Berlin en 1989, les guerriers étaient le Japon et les Etats-Unis avec des systèmes d’intelligence économique très protectionnistes et agressifs. Aujourd’hui, la Chine a une politique très agressive, de même que la Russie. Demain, ce seront le Brésil et l’Inde. Sur le plan mondial, la France est timorée dans ce domaine et la seule solution pour elle est de passer par Bruxelles car elle n’a pas d’outils adaptés pour réagir, à la différence des pays anglo-saxons où la question est prise au sérieux au plus haut niveau de l’exécutif, à l’instar de la Maison Blanche aux Etats-Unis.
Si la piste chinoise était confirmée, la France pourrait condamner les Français qui se sont compromis dans cette histoire et continuer la sensibilisation au sein des entreprises françaises. Elle devrait également, comme elle l’a annoncé en décembre, créer une loi qui institue un secret des affaires. Mais que voulez-vous qu’elle fasse d’autre face à un pays qui est susceptible d’acheter des TGV ? Il s’agit donc essentiellement d’envoyer un message du type "on sait, alors calmez-vous car il y a des choses qui ne se font pas", afin de rappeler à l’ordre le pays concerné pour qu’il revienne dans le droit chemin.
L’intelligence économique se rapporte à la manière d’obtenir des informations et de protéger ses informations. Selon Ali Laïdi, 90 % des informations ainsi obtenues sont "légales" et environ 10 % sont des informations "grises et noires".
La guerre économique intervient quand des acteurs privés ou des Etats franchissent les frontières du droit de la concurrence pour conquérir des marchés. M. Laïdi précise que, contrairement à lui, une majorité des chercheurs rejettent le terme de guerre économique, n’accréditant pas une acception du terme "guerre" autre que militaire.
L’espionnage industriel est l’une des techniques utilisée dans la guerre économique. D’autres techniques existent comme la guerre de l’information, le normage des produits, l’espionnage économique,...
Cette piste n’a été confirmée ni par Renault ni par l’Etat français, son actionnaire à 15 %, qui a immédiatement assuré, par la voix de François Baroin, porte-parole du gouvernement, qu’"il n’y a pas d’accusation officielle de la France et du gouvernement français à l’égard d’aucun pays aujourd’hui".
Ali Laïdi, expert des questions d’intelligence économique au sein de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), décrypte les possibles implications diplomatiques de cette affaire.
Dans l’affaire de l’espionnage industriel par trois employés de Renault, la piste chinoise vous semble-t-elle crédible ?
Au regard de tous les éléments dont nous disposons aujourd’hui, on sait que la piste chinoise est crédible car d’une part, le gouvernement a demandé aux services de renseignements généraux de travailler sur cette piste-là. Par ailleurs, plusieurs précédents attestent de l’intérêt porté par la Chine à l’espionnage de technologie automobile, à l’instar du dernier cas retentissant de la stagiaire chinoise dans la société Valeo qui a été condamnée pour "abus de confiance" pour avoir récupéré dans son disque dur des milliers de données de l’équipementier automobile.
Enfin, de manière générale, il suffit de regarder quelles nations peuvent être intéressées à récupérer de la technologie automobile. Les seules nations qui cherchent à prendre des parts de marché à des secteurs matures de l’automobile que sont la France, l’Allemagne et les Etats-Unis et qui ont, à cette fin, besoin de passer un cap technologique pour compenser le retard qu’elles ont dans le secteur des moteurs traditionnels, sont l’Inde et la Chine. Or, elles ne peuvent compenser ce retard qu’en acquérant la technologie électrique.
Que vous inspire la réaction de la Chine qui s’offusque de la mise en cause de ses entreprises dans cette affaire d’espionnage industriel ? Cela traduit-il le rôle de l’Etat lui-même ?
Les Etats ont toujours été partie prenante dans les problématiques économiques. Ils ont toujours été des acteurs qui permettent de "booster", favoriser ou protéger un secteur, en allant notamment chercher des informations chez les autres Etats. Ce rôle a été remis en cause depuis une vingtaine d’années par le rejet du rôle de l’Etat par la théorie libérale. Mais ce rôle est toujours présent, et ce d’autant plus en Chine, où il n’existe pas de secteur privé de l’information.
C’est un domaine très sensible en Chine. Seul le parti unique peut chercher des informations, donc il n’est pas possible que des acteurs privés fassent du renseignement. Aucune entreprise chinoise de taille importante ne possède de services pour faire de l’espionnage pour son propre compte sans l’aval du Parti communiste chinois. C’est très différent des Etats-Unis ou de l’Europe où certaines sociétés possèdent leur département d’intelligence économique, et où il existe également des prestataires privés, comme des sociétés d’intelligence économique, qui font de la recherche d’informations pour de grandes entreprises du CAC 40.
La Chine est par ailleurs souvent pointée du doigt pour espionnage industriel par les Occidentaux, ainsi que sur la cyber-sécurité, avec des attaques sur les réseaux informatiques.
Selon vous, pourquoi la France a-t-elle choisi de faire profil bas face à la mise en cause de la Chine dans cette affaire ?
Sur le continent européen, la France est le pays qui a pris la question de l’espionnage industriel le plus à bras-le-corps depuis 1994 et l’un des rares pays qui dispose d’un délégué interministériel à l’intelligence économique. Mais, dans le monde qui s’est dessiné à la chute du mur de Berlin en 1989, les guerriers étaient le Japon et les Etats-Unis avec des systèmes d’intelligence économique très protectionnistes et agressifs. Aujourd’hui, la Chine a une politique très agressive, de même que la Russie. Demain, ce seront le Brésil et l’Inde. Sur le plan mondial, la France est timorée dans ce domaine et la seule solution pour elle est de passer par Bruxelles car elle n’a pas d’outils adaptés pour réagir, à la différence des pays anglo-saxons où la question est prise au sérieux au plus haut niveau de l’exécutif, à l’instar de la Maison Blanche aux Etats-Unis.
Si la piste chinoise était confirmée, la France pourrait condamner les Français qui se sont compromis dans cette histoire et continuer la sensibilisation au sein des entreprises françaises. Elle devrait également, comme elle l’a annoncé en décembre, créer une loi qui institue un secret des affaires. Mais que voulez-vous qu’elle fasse d’autre face à un pays qui est susceptible d’acheter des TGV ? Il s’agit donc essentiellement d’envoyer un message du type "on sait, alors calmez-vous car il y a des choses qui ne se font pas", afin de rappeler à l’ordre le pays concerné pour qu’il revienne dans le droit chemin.
Intelligence ou guerre économique ?
Espionnage industriel, intelligence économique et guerre économique, de quoi est-il question exactement ? Ali Laïdi indique que ces concepts, apparus il y a une vingtaine d’années, sont encore en mouvement et n’ont pas été labellisés par la communauté scientifique.L’intelligence économique se rapporte à la manière d’obtenir des informations et de protéger ses informations. Selon Ali Laïdi, 90 % des informations ainsi obtenues sont "légales" et environ 10 % sont des informations "grises et noires".
La guerre économique intervient quand des acteurs privés ou des Etats franchissent les frontières du droit de la concurrence pour conquérir des marchés. M. Laïdi précise que, contrairement à lui, une majorité des chercheurs rejettent le terme de guerre économique, n’accréditant pas une acception du terme "guerre" autre que militaire.
L’espionnage industriel est l’une des techniques utilisée dans la guerre économique. D’autres techniques existent comme la guerre de l’information, le normage des produits, l’espionnage économique,...
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