Tuesday, February 15, 2011

Belarus : une main de fer

Le 19 décembre 2010, le président Alexandre Loukachenko a été réélu pour un quatrième mandat présidentiel consécutif en Belarus. La communauté internationale devra traiter pendant encore cinq ans avec le dernier « dictateur » d’Europe, qualifié ainsi par les Etats-Unis pour son régime liberticide.
Le président sortant, à la tête de son pays depuis 1994, a remporté une victoire écrasante avec 79,7 % des votes laissant loin derrière son principal « adversaire », l’opposant Andreï Sannikov avec seulement 2,56 %. Aucun des huit autres candidats n’a atteint 2%.

Répression de l’opposition

Ce résultat, largement anticipé par les analystes politiques, a provoqué le rassemblement d’au moins 10 000 manifestants sur la place de l’Indépendance et la dénonciation des fraudes alors que certains tentaient de donner l’assaut au Parlement.
Ils ont immédiatement dû faire face à une dure riposte des troupes du Ministère de l’intérieur : 639 manifestants, dont les 7 candidats de l’opposition ont été brutalement interpellés.
Loukachenko a personnellement ordonné à la police de réprimer les émeutes qui ont suivi les élections [1].
Les Etats-Unis et l’Union européenne ont critiqué les manquements démocratiques du processus électoral et ont vigoureusement condamné les violences de l’après-scrutin. En conséquence, ils ont demandé la libération immédiate des personnes emprisonnées. De son côté, la Russie a conservé un silence embarrassant durant toute une journée.
Au lendemain du scrutin, le président russe Dmitri Medvedev a considéré le vote et la répression des opposants comme une affaire intérieure de son voisin.
En dépit des critiques occidentales, trois candidats de l’opposition et vingt-cinq manifestants sont toujours privés de liberté et risquent jusqu’à quinze ans de prison ferme.
La timide réaction russe face aux événements et les félicitations tardives du Kremlin pour la réélection de Loukachenko n’ont pas empêché Minsk de condamner 11 citoyens russes à des peines de prison de 10 à 15 jours [2], ce qui à son tour a provoqué la colère de Moscou.
Loukachenko entend assurément maintenir une poigne de fer sur son pays durant les cinq prochaines années d’exercice de son pouvoir. Cependant, s’il veut survivre politiquement et éviter un total isolement, nous considérons qu’il ne dispose que de deux options réalistes : la coopération avec l’Union européenne ou l’intégration avec la Russie et le Kazakhstan dans l’espace économique commun (EEC).

Belarus-UE : la coopération est-elle encore possible ?

Avant les élections, Bruxelles restait optimiste quant à la possibilité d’éloigner Minsk de Moscou. L’UE avait mis sur la table une offre d’aide économique de 3 milliards d’euros à répartir sur les trois prochaines années, à la condition que le scrutin présidentiel respecte les normes démocratiques de l’OSCE.
Cette proposition s’est inscrite dans la continuité du fragile rapprochement opéré depuis 2008 lorsque Bruxelles a suspendu l’interdiction de séjour dans l’Union européenne pour les officiels bélarusses, Loukachenko compris, et a invité Minsk à rejoindre le partenariat oriental, un nouveau programme européen pour développer les relations avec les voisins d’Europe de l’Est. C’était l’époque où le président Bélarusse jouait la carte de l’Europe contre la Russie et promettait une certaine libéralisation, ce qui avait irrité Moscou. Après la suspension de l’interdiction de séjour, l’Union européenne (UE) a rédigé une liste de cinq critères constituant une base de travail pour décider de l’abandon ou de la poursuite des sanctions contre le régime de Loukachenko [3]. En octobre 2010, Bruxelles a réintroduit une interdiction de séjour de 12 mois, les autorités bélarusses n’ayant pas satisfait à ces critères, comme cela devait être encore le cas lors de l’élection du 19 décembre 2010. La promesse d’une aide de 3 milliards d’euros n’a, semble-t-il pas, impressionné Loukachenko.
Ainsi, pour les cinq ans à venir, l’UE n’a d’autres choix que de renforcer les sanctions prises à l’encontre du Belarus.
Le 31 janvier 2011, les ministres des Affaires étrangères réunis à Bruxelles ont décidé de l’interdiction de séjour sur le territoire de l’Union et du gel des avoirs de 158 officiels bélarusses (dont Loukachenko) impliqués dans la violente répression post-électorale. Il n’a pas été question de suspendre le partenariat oriental avec le Belarus, comme l’avaient demandé au lendemain du scrutin la chancelière allemande Angela Merkel et des membres du Parlement européen.
La présente interdiction rappelle celle déjà instituée après l’élection de 2006 lorsque Loukachenko et quarante autres officiels avaient été interdits de séjour sur le territoire de l’Union européenne.
Les relations entre Minsk et Bruxelles devraient atteindre leur plus bas niveau si l’UE reste ferme sur l’observation de ses principes démocratiques. Loukachenko pourra cependant continuer de rêver au besoin de coopération dans les domaines de la sécurité frontalière, du crime organisé international ou de l’immigration illégale, lesquels pourraient lui donner une certaine marge de manœuvre, bien que très limitée, vis-à-vis de Bruxelles. Dans la mesure où les relations entre le Belarus et l’Union européenne vont inévitablement se détériorer et qu’il n’y a pas de révolution en vue à Minsk dans un futur proche, Loukachenko pourrait se trouver le dos au mur …du Kremlin.

L’intégration dans le EEC

Au lendemain de l’élection, Loukachenko a déclaré : « j’aurai de la patience et je supporterai toutes les souffrances pour m’assurer que nous ne nous éloignerons pas de la Russie. » Par ailleurs, il a promis à Moscou que son pays serait le premier à ratifier tous les accords nécessaires à la création d’un espace économique unifié (EEC) entre son pays, la Russie et le Kazakhstan. Dans les faits, le 21 décembre 2010, les dix-huit accords signés entre Moscou et Astana au début du mois ont été votés par la chambre basse du Parlement. En agissant aussi rapidement, Minsk s’attendait à ce que Moscou, comme promis dix jours avant le scrutin par la Ministre du Développement économique russe, Elvira Nabiullina, supprime les taxes sur le pétrole, ce qui aurait fait économiser au Belarus environ 4 milliards de dollars. Depuis lors, le Belarus s’est engagé à rétrocéder à la Russie toutes les taxes collectées sur la réexportation des produits raffinés vers l’Europe [4].
La création d’un espace économique commun permettra la libre circulation des biens, des services, des capitaux et du travail entre le Belarus, la Russie et le Kazakhstan. Une politique macroéconomique commune sera mise en place pour réguler la nouvelle union. L’ultime étape d’intégration de l’espace économique commun consistera, comme cela a été fait au sein de l’Union européenne au 1er janvier 1999, à mettre en place une monnaie unique.
Malgré des échanges rhétoriques durs, des disputes autour des prix du gaz ou le refus de Minsk d’honorer la promesse de reconnaître les anciennes républiques autonomes de Géorgie, d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, il semblerait que le Belarus n’ait d’autre choix que d’intensifier l’intégration avec la Russie dans l’espace économique commun. En novembre 2010, le Fonds monétaire international (FMI) a souligné : « Le Belarus récupère de la crise économique globale mais il y existe encore de sérieuses vulnérabilités. »
Nous devons nous rappeler que l’économie bélarusse demeure non réformée depuis l’époque soviétique. Si une timide libéralisation a bien eu lieu au début des années 1990, la situation s’est inversée à partir de 1996 et l’arrivée au pouvoir de Loukachenko. Depuis le milieu des années 1990, le Belarus continue de vivre grâce à des subventions massives accordées par la Russie en échange d’une fraternité éternelle et d’une vague intégration économique et politique avec Moscou.
La majeure partie de cette aide financière consiste en des importations énergétiques bon marché et en l’exportation de biens bélarusses à prix surévalués vers son voisin oriental. En 2007, les subventions énergétiques ont atteint 5,8 milliards de dollars, soit 41 % du budget bélarusse. C’est pourquoi l’économie bélarusse de type soviétique (le secteur public couvre 70% du PIB, l’écrasante majorité des entreprises est non rentable et les ménages reçoivent des avantages de l’Etat) est profondément dépendante de la bonne volonté russe. Ces subventions expliquent plutôt bien les raisons pour lesquelles Loukachenko jouit encore d’un soutien important parmi les bélarusses.

Le Kremlin perd patience

Cependant, depuis le début de 2010, le Kremlin a très clairement perdu patience face aux excentricités et aux volte-face de Loukachenko. La Russie cherche à acquérir les trois plus grandes raffineries, qui sont utilisées depuis plusieurs années pour réaliser des profits importants en réexportant le pétrole brut russe subventionné sur le marché européen. Dans le même temps, Moscou exerce une énorme pression sur Loukachenko pour le contraindre à ouvrir le marché bélarusse aux entreprises russes, étape obligatoire du processus d’intégration. Dans l’éventualité où le président bélarusse continuerait d’user de ses vieilles méthodes, son pays pourrait se trouver isolé d’autant que le kremlin a une autre carte en main : l’oléoduc Droujba (amitié).
En 2014-2015 quand le gazoduc Nord Stream qui relie la Russie à l’Allemagne via la mer baltique sera pleinement opérationnel, Moscou pourra fermer l’oléoduc Droujba qui alimente le Belarus (et l’Europe) en pétrole et en droits de passage. Ceci pourrait certainement donner le coup de grâce à l’économie non reformée de Minsk, à moins que Loukachenko ne s’enferme dans son pays au dépend du bien-être de son peuple et ne parte mendier énergie et assistance auprès de pays tels que l’Iran et le Venezuela [5].

Conclusion

L’élection du 19 décembre 2010 a finalement montré que même si les résultats ont été faussés, le président bélarusse bénéficie encore du soutien de la majorité du peuple. Les ménages craignent de perdre leurs avantages sociaux, principalement les agriculteurs et les retraités tandis que les entreprises souhaitent conserver leurs subventions, ce qui constitue une réaction normale.
Il est grand temps pour les politiciens de Minsk d’opérer des choix cruciaux et difficiles, s’ils veulent réellement voir leur pays se développer et s’intégrer dans l’économie mondiale.
Ainsi, durant les cinq prochaines années, le dernier « dictateur » d’Europe devra faire face à un agenda serré pour survivre politiquement comme ses ruses, mondialement connues, ne fonctionneront plus.
Il devrait alors expliquer à ses citoyens que l’inefficacité du système actuel conduira le pays à moyen terme au bord de l’effondrement. Il devrait aussi leur exposer les avantages, en terme de bien-être, d’une intégration avec la Russie (et le EEC) et les raisons pour lesquelles elle serait supérieure à une intégration avec l’Union européenne.

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