M. le président Guy Teissier. Nous avons le grand plaisir d’accueillir M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement.
Je rappelle que son poste a été créé à la suite des préconisations du Livre blanc. Le coordonnateur est le point d’entrée privilégié des différents services de renseignement auprès du Président de la République. Il conseille le Président et s’assure de la coopération optimale entre les services.
Alors que vous êtes pressenti pour occuper le poste d’ambassadeur de France en Afghanistan – nous attendons l’agrément des autorités afghanes –, j’ai pensé qu’il serait intéressant de vous entendre dresser le bilan de votre action en tant que coordonnateur. Ce poste vous semble-t-il répondre aux attentes du Livre blanc ? A-t-il permis d’améliorer la collaboration entre les différents services ?
En outre, vous pourrez nous indiquer où en est la réorganisation des services. En particulier, la création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a-t-elle généré les synergies attendues ? Les moyens consacrés au renseignement sont-ils suffisants et bien répartis ?
Enfin, plus personnellement, quels enseignements tirez-vous de ces deux années et demi de responsabilité ? Et quels conseils donneriez-vous à votre successeur ?
Vous pourrez également nous parler du Sahel, où la vie de certains de nos compatriotes est en danger.
M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement. Merci de me faire, pour la deuxième fois, l’honneur de cet accueil. Je vais dresser un premier bilan de mes activités, deux ans et demi après mon installation à ce poste.
La principale avancée réside dans le fait que les services se parlent et travaillent ensemble. Cela résulte non seulement de l’action du coordonnateur mais également de celle des directeurs des services, notamment de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la DCRI. Auparavant, ils ne travaillaient pas aussi bien ensemble. Désormais, le risque que nous manquions quelque chose par rétention d’information entre les services est quasi inexistant.
Au final, l’instauration d’un coordonnateur a offert un espace de respiration aux services les plus encadrés sur le plan hiérarchique, tandis que ceux qui craignaient de perdre celui dont ils disposaient déjà se sont trouvés rassurés. Nous sommes parvenus à un bon point d’équilibre et constituons désormais une véritable équipe, dont je suis l’animateur.
J’ai également pour responsabilité de fixer les grandes orientations, sous l’autorité du Président de la République. Un plan national d’orientation du renseignement a été adopté sur trois ans.
Un autre aspect de mon action est d’assurer la remontée du renseignement produit par les six services spécialisés. La DGSE, la DCRI, la direction du renseignement militaire (DRM), la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ainsi que Tracfin me font parvenir chaque jour leurs productions, à charge pour moi d’identifier ce qui est susceptible d’intéresser le Président de la République et le Premier ministre. J’assure ainsi la remontée des informations, qui est sans doute plus systématique qu’auparavant.
Je veille également à ce que les services disposent des moyens nécessaires pour accomplir leur mission. En ce qui concerne l’investissement, nous avons la charge de piloter des programmes dont certains sont mutualisés entre les services, tels les moyens informatiques et électroniques. Pour ce qui est de l’imagerie spatiale, nous avons décidé d’engager en national le programme MUSIS – successeur d’Hélios – en raison de l’absence de réponse de nos partenaires européens, tout en leur laissant la porte ouverte. Il nous semblait en effet crucial de ne pas accroître le risque de rupture capacitaire. D’autres programmes vont faire l’objet de décisions prochainement, par exemple le remplacement de nos drones MALE – qui viendront en fin de vie vers 2013.
S’agissant des ressources humaines, une meilleure mobilité entre les services et leur plus grande ouverture vers l’extérieur sont nécessaires, de même qu’une formation plus systématique des cadres, d’où l’intérêt de l’Académie du renseignement que le Premier ministre a inaugurée le 20 septembre dernier. Cette académie a aussi pour mission de veiller à la mutualisation des formations que les services assuraient déjà eux-mêmes.
La coordination s’est également attachée à renforcer le lien et la complémentarité entre le dispositif de renseignement économique et l’intelligence économique – c’est-à-dire la collecte d’informations par des services autres que les services de renseignement. Il s’agit notamment des informations ouvertes et de celles disponibles dans les administrations. Une délégation interministérielle à l’intelligence économique a été créée en septembre 2009. Elle est dirigée par un ancien industriel, M. Olivier Buquen. Bien que située à Bercy, elle reçoit ses orientations d’un comité directeur établi à l’Élysée, tandis que le suivi des recommandations est assuré par Matignon.
À l’occasion de mes premières auditions au Parlement, la question de l’articulation avec les services du Premier ministre avait été posée, certains s’inquiétant de voir la coordination assurée à l’Élysée. Si celle-ci ne peut pas être ailleurs - sans quoi il y aurait toujours une instance d’appel au-dessus d’elle - il faut observer que le coordonnateur du renseignement est nommé par décret en conseil des ministres, c’est-à-dire sur proposition du Premier ministre. Il est chargé d’informer le Président de la République, mais aussi le Premier ministre ainsi que son cabinet, avec lequel la relation est étroite. Enfin, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), service du Premier ministre, intervient en appui du coordonnateur pour certaines missions.
La DCRI résulte de la fusion de la DST avec une partie des renseignements généraux. Cette réforme, envisagée depuis deux décennies, est un succès. Cela ne signifie pas pour autant que les deux cultures ont entièrement fusionné : sans doute faudra-t-il encore du temps pour cela. La diversité culturelle n’est d’ailleurs pas forcément néfaste, comme le démontre le travail commun qu’effectuent la DGSE, la DCRI, la DRM et les autres services associés.
Il faudra néanmoins poursuivre le mouvement, notre priorité étant la lutte contre le terrorisme, qu’il menace nos intérêts à l’étranger ou, naturellement, le territoire national. Les équipes de la DCRI et celles de la DGSE travaillent en étroite concertation, là où il n’y a pas de frontière entre menace intérieure et menace extérieure. La menace intérieure, quant à elle, est croissante : elle se nourrit d’un phénomène nouveau d’auto-radicalisation qui existe dans la plupart des pays européens ainsi qu’aux États-Unis. Pour y faire face, nous devons être en mesure de la détecter aussi tôt que possible. L’incident qui s’est récemment produit en Suède montre que le risque d’attentat commis par des individus qui se sont radicalisés eux-mêmes est bien réel.
C’est pourquoi il faudra, au cours des prochaines années - c’est ma conviction personnelle - procéder à un rééquilibrage entre la DGSE et la DCRI, en veillant à ne pas affaiblir la première, désormais crédible auprès de ses principaux partenaires étrangers, tout en renforçant la seconde. Celle-ci devra notamment ouvrir son recrutement au-delà des seuls effectifs policiers. En effet, le renseignement se diversifie et touche désormais les domaines économique – dans lequel la DCRI accomplit un travail remarquable – ou technique. À cet égard, elle doit pouvoir participer aux efforts de mutualisation. Or, en l’état actuel des choses, les moyens de ces deux services ne sont pas équivalents.
En outre, il faudra procéder à des arbitrages concernant les investissements du ministère de la défense. Tous les projets ne pourront pas être conduits au même rythme. La priorité doit être accordée au programme MUSIS d’imagerie spatiale, domaine dans lequel nous ne pouvons plus nous permettre de retard, ainsi qu’au programme de renseignement électromagnétique spatial CERES, dont le calendrier devra être affiné. La question des drones, comme je l’ai indiqué, sera prochainement tranchée. En outre, en matière de ressources humaines, des ingénieurs et des analystes seront indispensables pour exploiter les images produites par ces équipements.
M. le président Guy Teissier. Nous avons découvert avec surprise que la révolution tunisienne avait sans doute reçu l’appui ou, à tout le moins, la bénédiction des États-Unis. Avions-nous au moins connaissance de ce qui se préparait, alors même que les Américains semblaient parfaitement au courant ? Curieusement, c’est vers eux que s’est tourné le général Ammar, qui semble avoir été le grand ordonnateur de cette opération. N’aurait-on pas pu penser que la France était le pays le plus proche et le plus susceptible d’aider à l’évolution de la Tunisie ? Les services ont-ils été surpris par ces événements ? Auraient-ils gardé le silence en dépit du fait qu’ils étaient conscients de ce qui se préparait ?
M. Bernard Bajolet. Je ne dispose d’aucun élément me permettant de confirmer que les Américains ont donné le « coup de pouce » final en Tunisie, même si l’hypothèse ne peut être totalement écartée, un certain nombre d’officiers tunisiens ayant été formés aux États-Unis.
Soyons honnêtes : ni notre ambassade, ni nos services de renseignement, ni les think tanks, en fait personne, n’a vu venir la révolution tunisienne. Cela étant, il est important de savoir ce que l’on attend des uns et des autres. La question de la répartition des missions entre le réseau diplomatique et les services de renseignement a été évoquée dans le cadre de la préparation du plan national d’orientation du renseignement. L’observation de l’évolution profonde des sociétés et des mouvements politiques incombe aux diplomates. Je le dis d’autant plus facilement qu’étant moi-même diplomate, je ne peux être soupçonné de chercher à me défausser à un titre ou à un autre. En tout état de cause, il n’appartient pas aux services de renseignement d’étudier les courants profonds qui traversent les sociétés, qu’il s’agisse du Maghreb, du monde arabe ou d’autres régions du monde. En revanche, loin de s’enfermer dans un cocon, à l’abri de leurs murailles, les ambassades ont pour mission de s’informer sur les évolutions en cours dans tous les milieux de la société des pays où elles exercent, au besoin avec l’appui d’universitaires ou de cercles de réflexion, et c’est ce qu’elles font le plus souvent. De leur côté, les services de renseignement doivent se garder de produire ce qui ne serait que de mauvais télégrammes diplomatiques d’analyse politique. Ils ont d’ailleurs cessé de le faire. Ils doivent plutôt fournir à l’État des informations auxquelles les diplomates n’ont pas accès. En somme, le renseignement commence là où s’arrête la diplomatie – et, dans les pays fermés comme l’était la Tunisie, elle s’arrête souvent assez vite. Les services doivent donc nous renseigner sur ce qui se passe dans les cercles dirigeants et les milieux politiques, en vue d’anticiper les événements à venir.
En Tunisie, M. Ben Ali lui-même a de toute évidence été dépassé par les événements. À titre personnel, ce n’est qu’à 18 heures, le 14 janvier, que j’ai appris qu’il avait quitté le pays et quelle destination il entendait gagner, ainsi que l’endroit où se trouvaient les principaux membres de sa famille. Nous n’avons donc été informés qu’en temps réel, mais c’est déjà quelque chose.
Se pose désormais la question de l’évolution de la situation dans les pays voisins – Algérie, Maroc, Libye, Égypte, Syrie, Yémen ou encore Jordanie. À cet égard, j’observe que le dispositif de l’État ne pourvoit pas suffisamment à la fonction de prospective. Le Livre blanc souligne l’importance de la fonction « connaissance et anticipation », mais celle-ci a été cantonnée au renseignement. Si la réforme prônée dans ce document sur cet aspect précis a été mise en œuvre, le volet « anticipation » de notre action n’a été, à mon avis, que partiellement traité. Or, l’anticipation ne se limite pas au renseignement ; elle touche aussi à la prospective. Hélas, celle-ci n’est pas organisée au niveau interministériel. Nous disposons de différents organismes : le ministère de l’intérieur et celui des affaires étrangères ont chacun une direction de la prospective et le ministère de la défense possède une direction des affaires stratégiques ; mais ces structures ne sont pas reliées entre elles. De surcroît, la prospective n’est pas toujours envisagée de façon opérationnelle. Au-delà de la simple spéculation, elle doit présenter des scénarios et déboucher sur des politiques concrètes. Aujourd’hui, cette fonction n’est pas assumée. Le conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques placé auprès du Premier ministre ne joue pas non plus ce rôle. Celui-ci doit donc être développé au sein de l’État, dans un cadre interministériel, pourquoi pas au sein du SGDSN ?
M. Yves Fromion. En tant que rapporteur du budget du renseignement, je confirme la montée en puissance des moyens affectés à nos services de renseignement et en priorité à la DGSE, même si des lacunes persistent. J’ai pu mesurer combien votre action en tant que coordonnateur a été extrêmement positive, d’autant plus que je préside la mission de contrôle de l’emploi des fonds spéciaux. Ils irriguent largement des services de renseignement sur lesquels je porte un regard scrutateur. Or, je constate qu’une véritable culture du travail en commun prend corps dans nos services de renseignement, qu’il s’agisse du partage d’installations très sophistiquées et coûteuses, mais aussi du partage de renseignements, en matière de terrorisme notamment.
Concernant le Sahel, il semble que les moyens techniques dont nous disposons pour assurer le suivi d’une situation dans une zone très vaste et difficile à contrôler soient insuffisants. On ne saurait pourtant en faire l’économie. Les drones, par exemple, nous ont cruellement manqué ; la surveillance aérienne a également présenté des lacunes. Nous ne pouvons plus prétendre que le terrorisme est la priorité de notre action sécuritaire de défense sans en tirer les enseignements suffisants pour la répartition de nos moyens sur le terrain. Je ne nie pas l’intérêt de notre présence en Afghanistan, mais les principaux enjeux en matière de terrorisme se rapprochent de la France – un état de fait dont nous n’avons pas encore assez pris conscience. Peut-on envisager un rééquilibrage de nos forces au bénéfice du Sahel, qui est d’une urgente nécessité ?
Enfin, je suis très réservé quant à la façon dont la récente prise d’otages français à Niamey a été traitée. Il ne s’agit naturellement pas ici de briser la nécessaire union nationale contre le terrorisme, mais ceux qui ont donné l’ordre d’intervention devraient en tirer les enseignements afin de mieux réagir à l’avenir. En effet, c’est à la chance que l’on doit de n’avoir pas subi des dégâts plus importants encore. Gardons-nous de reproduire à l’avenir ce genre d’expédition insuffisamment mûrie.
M. Yves Vandewalle. Pourriez-vous nous dire ce qu’il en est de l’affaire Renault et ce que vous pensez des attaques de l’avocat du groupe contre la DCRI ?
M. Damien Meslot. Autant le contrôle du terrorisme sur le sol national semble fonctionner avec succès, puisque les services ont, jusqu’à présent, réussi à éviter que se produisent en France des drames semblables à ceux qu’ont connus le Royaume-Uni ou l’Espagne, autant la situation au Sahel étonne : lors des deux derniers cas d’enlèvement, l’un sur un site industriel et l’autre à la terrasse d’un café, nos services ont été quelque peu surpris par les actions des terroristes, et ont semblé insuffisamment préparés à de tels actes. Qu’en est-il exactement ?
J’ajoute que je suis en total désaccord avec M. Fromion : en dépit du résultat final de l’opération, je suis convaincu que nous avons bien fait d’intervenir. Face au terrorisme, il faut savoir ne plus céder. En cas de succès, tout le monde aurait applaudi. Nous pouvons rendre hommage à l’action de nos forces et je suis fier d’elles, malgré l’échec. Il faut à chaque occasion démontrer aux terroristes que nous pouvons réagir.
M. Bernard Bajolet. Notre objectif est d’abord d’appuyer les États du Sahel afin qu’ils renforcent leurs capacités d’action contre le terrorisme. Il ne s’agit pas de nous substituer à eux ni mettre le doigt dans un engrenage qui ferait du Sahel une nouvelle terre de jihad. Toutefois, lorsque la vie de compatriotes est en danger, l’État n’a d’autre choix que d’intervenir. L’inaction ne serait pas comprise. Nous aurions évidemment souhaité que les choses se terminent autrement, mais nous estimions que nous ne pouvions rester les bras croisés.
La question au Sahel n’est pas seulement une question militaire ou de renseignement, c’est d’abord une question de développement économique. Il est certain que si les populations pouvaient voir leur condition de vie s’améliorer, les groupes terroristes n’y évolueraient pas aussi facilement. Aussi, nous nous efforçons d’impliquer au maximum l’Union européenne sur cette question afin que le Sahel compte parmi les priorités de son action extérieure. En outre, nous cherchons à aider les pays de la région – Mauritanie, Mali, Niger, en particulier – à se doter des moyens militaires et de capacités de renseignement pour faire face à la menace terroriste. Il faut les aider, les motiver, les équiper et les former, pas faire les choses à leur place
Mais, encore une fois, en dernier ressort, lorsque nos intérêts sont directement visés, nous avons le devoir d’agir. La critique a posteriori est aisée, mais qu’aurions-nous entendu si rien n’avait été fait ?
S’agissant de l’affaire d’Arlit, je ne pense pas que nos services se soient laissé dépasser. Ce n’est pas faute d’avoir sensibilisé les uns et les autres, car nos services étaient parfaitement conscients du risque d’enlèvement. Il demeure aujourd’hui et la ministre des affaires étrangères a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet s’agissant notamment des festivals au Mali. Nous disposons d’éléments très précis selon lesquels Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) cherche actuellement à enlever de nouveaux ressortissants occidentaux.
En ce qui concerne l’enlèvement d’Antoine de Léocour et de Vincent Delory nous avons été surpris qu’il intervienne en plein cœur de Niamey, ce qui illustre l’audace croissante des preneurs d’otages.
L’affaire de Renault doit être analysée avec prudence. Je n’ai pas connaissance de fuites en provenance de la DCRI. Il s’agit d’une affirmation formulée par l’avocat d’une partie et qui n’engage que lui. Je rappelle que la DCRI n’a été invitée à se rendre au siège de Renault que le 6 janvier dernier. Pour ma part, j’ai été informé par des dirigeants de l’entreprise le même jour dans l’après-midi. Nous nous sommes alors étonnés d’avoir été informés si tardivement et nous les avons incités à déposer plainte très rapidement, afin que la DCRI puisse agir. Bernard Squarcini a reçu cette même délégation le lundi suivant et leur a tenu le même discours, tout en leur assurant que son service accompagnerait l’entreprise dans sa démarche. Il y travaille donc actuellement, sous l’autorité du parquet.
M. Michel Grall. Au Liban, la constitution prévoit que le chef de l’État soit de confession chrétienne et le premier ministre un musulman sunnite. Or, un nouveau premier ministre, sunnite, a été sélectionné par le Hezbollah, un parti chiite. En phase avec ce parti et avec la Syrie, le nouveau Gouvernement qu’il doit former pourrait bien s’opposer aux conclusions du tribunal spécial pour le Liban instauré à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri. Quelle analyse générale faites-vous aujourd’hui des risques que présente la situation très instable dans ce pays ?
M. Daniel Boisserie. Vous avez indiqué que tous ignoraient la destination finale de M. Ben Ali lorsqu’il a quitté la Tunisie. Mais aviez-vous connaissance de ses souhaits ?
Comment analysez-vous l’évolution de la situation dans les pays arabes ? Des manifestations de grande ampleur se déroulent actuellement en Algérie et en Égypte. Concernant ce dernier pays, quelle est l’attitude d’Israël face à ces événements ?
M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur l’ambassadeur, nul n’a vu arriver la révolution tunisienne, ni vous, ni nous, ni le Gouvernement. Nous n’avions pas prévu non plus le départ de M. Ben Ali qui s’est précipité.
Comment voyez-vous la situation en Algérie et en Égypte, où l’on parle de milliers de manifestants dans les rues ? Se dirige-t-on vers la même fin ?
Le suivi de la situation des otages français s’effectue-t-il directement depuis l’Élysée ?
Enfin, concernant les deux jeunes de Linselles, enlevés et exécutés au Niger et Mali, je pense qu’on est allé un peu vite.
M. Bernard Bajolet. La France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, soutient l’activité du tribunal spécial pour le Liban et souhaite naturellement qu’il puisse accomplir sa mission en toute indépendance, sans se laisser influencer par aucune tentative d’intimidation. Nous suivons bien sûr avec beaucoup d’attention la situation dans ce pays, auquel vous savez combien de liens nous attachent. Sans interférer dans ses affaires intérieures, nous sommes en contact avec les principaux acteurs nationaux et régionaux pour apporter toute notre contribution au maintien de sa stabilité.
Nous avons été informés que M. Ben Ali souhaitait se poser à Chypre pour une destination finale qui nous était inconnue. Sa femme se trouvait à Dubaï et une de ses filles en France. Nous avons appris par la suite qu’il se dirigeait vers l’Arabie saoudite. Nous avons donc suivi les choses en temps réel ou à peu près.
Si les événements de Tunisie ont une influence profonde sur les opinions publiques, notamment en Algérie et en Égypte, les situations y sont différentes. Il faut donc se garder d’appliquer tel quel le schéma tunisien à chacun d’entre eux, car pour le moins, il est susceptible de variantes.
J’imagine qu’Israël observe ces évolutions avec beaucoup de préoccupation et de circonspection car, actuellement, nul ne sait sur quoi elles peuvent déboucher. Il en va de même pour la situation au Liban où la composition du Gouvernement ne sera pas neutre vis-à-vis des équilibres locaux et régionaux.
Enfin, pour répondre à la question de M. Candelier, nous devions empêcher le groupe de terroristes de conduire les otages dans des repaires où toute solution aurait été impossible. Nous avons agi extrêmement vite, mais nous serions tout autant critiqués si nous ne l’avions pas fait.
M. Philippe Folliot. Je me suis rendu en Afghanistan la semaine dernière et j’ai trouvé le personnel sur place, nos militaires comme diplomates, de grande qualité.
Ma question porte sur le secteur de la Kapisa. La présence des deux otages dans notre secteur d’opérations perturbe évidemment l’action de nos soldats. Cette contrainte s’inscrivant dans la durée, ne peut-on craindre qu’elle rende leur libération toujours plus difficile, compte tenu notamment de l’avantage tactique que procure à la rébellion le fait de disposer de « boucliers humains » ?
M. Christophe Guilloteau. Concernant la prise d’otages au Mali, je suis gêné que les versions des faits qui ont été données soient aussi différentes.
Dans le prolongement de l’affaire de Renault, pourriez-vous nous indiquer si les autres grandes entreprises françaises sont suffisamment sensibilisées aux questions d’espionnage industriel et si elles font appel à vos services ? Pouvez-vous également décrire la façon dont les services de l’État s’organisent pour répondre aux cyberattaques ?
M. Marc Joulaud. De quels outils disposez-vous en matière d’intelligence économique ? Quel est votre sentiment sur la situation en Côte d’Ivoire ?
M. Bernard Bajolet. Je ne souhaite pas faire de commentaire sur la question des otages car, dans ce genre de situation, nous appliquons un principe constant de discrétion. Je me garderai également de m’exprimer sur les opérations militaires en cours en Afghanistan.
Nous menons un important travail de sensibilisation des entreprises à la sécurité économique par l’intermédiaire de la DCRI, de la DPSD et de la délégation interministérielle à l’intelligence économique. La DCRI travaille ainsi avec près de 8 000 entreprises et la DPSD près de 2 000 et ces deux services mènent leur mission de façon remarquable. Mais certaines entreprises se sentent encore trop peu concernées, ainsi qu’en témoignent les différentes affaires qui me sont signalées chaque jour, comme des vols d’ordinateurs ou encore des visites de délégations mal encadrées.
Concernant les cyberattaques, nous sommes effectivement entrés dans une nouvelle phase ces derniers temps. Nous avons décelé des attaques de très grande ampleur contre des grandes entreprises et des administrations d’État qui avaient pour but de s’approprier leurs bases de données.
Nous nous dotons des outils nécessaires pour y faire face : après avoir renforcé l’agence nationale de sécurité des systèmes d’information, le Gouvernement va créer un poste de directeur des systèmes d’information de l’État, chargé de sécuriser les réseaux des ministères. L’objectif est de disposer d’une organisation à la hauteur du défi informatique. Il s’agit d’un dossier que le Président de la République suit de très près.
Sur la Côte d’Ivoire, la position du Gouvernement est très claire : le Président légitimement élu et reconnu comme tel par toute la communauté internationale est M. Alassane Ouattara. Son ambassadeur à Paris a été accrédité. Si nous sommes actuellement dans une impasse, nous pensons que la situation est appelée à évoluer à terme, compte tenu notamment de la perspective d’une maîtrise progressive des moyens financiers de l’État par le Président légitime.
M. Guillaume Garot. Pourriez-vous faire le point sur la situation de nos otages détenus à travers le monde ?
M. Franck Gilard. Vous avez évoqué une menace venue du sol français qui serait le fruit d’une radicalisation de la communauté musulmane : avez-vous une idée du renforcement des réseaux dormants dans les milieux islamistes français ?
Existe-t-il une interconnexion entre ces réseaux islamistes à l’échelle européenne ?
Dans quelle mesure le développement de l’islam dans les sociétés européennes peut-il, au cours des trente prochaines années, poser des problèmes en matière de sécurité nationale ?
M. Georges Mothron. Je suis élu de la deuxième couronne parisienne où la montée du salafisme avait été jugulée il y a une quinzaine d’années par la construction de mosquées. Or nous y assistons aujourd’hui à la renaissance de cet islamisme radical. Est-ce que le sentiment que j’ai à l’échelon local est valable à l’échelon national ?
M. Bernard Bajolet. Concernant les otages, je formulerai la même réponse que tout à l’heure. Il s’agit là d’un sujet que je ne souhaite pas commenter. Tout ce que je puis dire est que tous les services de l’État sont pleinement mobilisés.
M. le président Guy Teissier. À défaut de répondre sur les actions entreprises par les services français, pouvez-vous nous dire un mot sur leurs geôliers ? Sont-ils les mêmes dans les différents cas ? Comment les relier aux récentes déclarations d’Oussama Ben Laden ?
M. Bernard Bajolet. Il est vrai que, depuis quelque temps, la France est davantage la cible d’Oussama Ben Laden, mais nous devons apprécier ses récentes déclarations à la lumière du contrôle plus ou moins effectif qu’il exerce sur les différentes catégories de geôliers dont il s’agit.
En ce qui concerne l’islam en France, il faut se garder de tout amalgame avec le terrorisme. L’islam radical ne représente qu’une infime minorité. Il faut également relativiser la relation entre la problématique de l’intégration et celle de la menace terroriste. Ainsi, dans le cas récent de la tentative d’attentat suicide à Stockholm, le terroriste était parfaitement intégré. Il en va de même de l’auteur de la tentative d’attentat sur la ligne Amsterdam – Détroit en décembre 2009. Il n’existe pas donc de lien automatique entre défaut d’intégration et terrorisme.
Concernant le lien des cellules européennes avec les différents réseaux internationaux, nous avons effectivement établi récemment des connexions avec les réseaux actifs dans la zone afghano-pakistanaise.
M. le président Guy Teissier. Et pour la résurgence du prosélytisme ?
M. Bernard Bajolet. Nous assistons, en effet, à un prosélytisme renaissant, que nous suivons de très près. Dès lors qu’il y a incitation à la haine et à la violence, l’État a le devoir de réagir. Il le fait avec différents cas de figure juridiques, selon que le prédicateur, quand il s’agit d’un prêche, possède ou pas la nationalité française.
M. Michel Voisin. La levée du secret de la défense nationale sur les opérations de libération des otages français a fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Cela n’induit-il pas un risque dans la mesure où nous dévoilons ainsi assez largement nos modes d’action, avec leurs forces et leurs faiblesses ?
M. Bernard Cazeneuve. Je souhaiterais vous interroger sur le dossier de Karachi, même si je comprendrais aisément que vous ne puissiez pas forcément répondre à toutes mes questions.
La commission de la défense a créé une mission d’information afin de progresser dans la vérité et dans la compréhension des circonstances entourant l’attentat du 8 mai 2002. Dans ce cadre, nous avons auditionné des responsables de la DGSE qui se sont révélés extrêmement précis et complets. Les documents de synthèse qu’ils nous ont transmis, et que nous avons publiés dans le rapport, tendaient à prouver que l’attentat avait été commandité par Al Qaïda.
Dans le même temps, le juge d’instruction Marc Trévidic a demandé la déclassification de la totalité des documents relatifs à cet attentat. Lorsque je les ai interrogés, les ministres concernés ont répondu à trois reprises qu’ils déclassifieraient l’intégralité des pièces demandées.
Or, deux éléments nouveaux sont venus modifier la situation ces dernières semaines. Alors que les ministres avaient indiqué avoir déclassifié tous les documents, une nouvelle note de la DGSE est apparue. Ce document privilégiait, dès le 8 mai 2002, la piste d’un attentat perpétré pour des raisons financières, sans d’ailleurs que cette hypothèse soit suffisamment justifiée. Or, à aucun moment la DGSE n’a évoqué cette note devant la mission d’information.
Par ailleurs, la presse a rendu compte, malgré le secret de l’instruction, du contenu de l’audition de M. Alain Juillet, ancien haut responsable de la DGSE. Selon lui, l’attentat serait plutôt une mesure de représailles pakistanaise à la suite de la vente par la France de sous-marins à l’Inde.
Au vu de ces éléments et d’après votre expérience des services de renseignement, comment expliquez-vous qu’il ait fallu aussi longtemps pour déclassifier les documents ? Lorsque les ministres ont répondu aux questions que nous leur posions, savaient-ils que les services détenaient encore des documents classifiés ou pensaient-ils réellement que toutes les pièces avaient été transmises ?
Ma deuxième interrogation est plus directement liée aux déclarations de M. Alain Juillet. Comment comprendre que l’explication qu’il avance n’ait jamais été évoquée lors des auditions de la mission d’information ? En tant que coordonnateur au renseignement, de quels éléments disposez-vous sur ce point précis et quelle hypothèse privilégiez-vous ?
M. Bernard Bajolet. Il me semble qu’il faut trouver un juste équilibre entre le souci de M. Voisin de ne pas déclassifier trop vite et la demande de M. Cazeneuve de transmettre au juge d’instruction les documents dans les meilleurs délais.
En ce qui concerne la libération de nos otages à Niamey, nous avons tout fait pour que le juge d’instruction dispose rapidement des éléments nécessaires à son enquête. Il fallait permettre à la justice de faire son travail pour répondre aux attentes légitimes des familles des victimes. En l’espèce, la difficulté était liée aux images prises par les armées et couvertes par le secret de la défense nationale. Ce sont ces données qui ont été transmises à la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) pour une déclassification rapide.
Quant au dossier de Karachi, je crois qu’un mauvais procès est fait aux services de l’État. La volonté de déclassifier l’ensemble des pièces existe et c’est une réalité qu’il faut prendre en compte. La DGSE avait déjà fourni beaucoup de documents au juge mais cela semblait ne pas suffire. Les services ont donc poussé leurs recherches, y compris dans des dossiers sans lien direct évident avec l’affaire. C’est à cette occasion que de nouvelles pièces ont pu apparaître, mais elles n’étaient en aucun cas préalablement cachées.
Il y a certainement eu des maladresses, mais jamais de mauvaise volonté. J’aurais personnellement préféré que davantage d’éléments soient transmis à la mission d’information parlementaire et je comprends que vous ayez pu vous sentir frustré. Je tiens toutefois à préciser que cette situation résulte d’une difficulté juridique : dans quelle mesure la transmission de documents à votre mission était-elle compatible avec le travail du juge d’instruction ? Était-il possible de vous communiquer des éléments susceptibles d’être demandés par le magistrat ? Le ministère de la défense a saisi celui de la justice de cette question, via Matignon, mais n’a pas obtenu de réponse avant l’achèvement de vos travaux.
J’en viens à la note dont vous faites état. Je m’interroge sur la pertinence et la crédibilité d’une opinion recueillie par le Service le jour même de l’attentat. Il me semble difficile d’émettre une analyse sérieuse de façon aussi immédiate.
Pour ma part, je suis convaincu que l’attentat n’a aucun rapport avec la vente des sous-marins Agosta. Si certains aspects du dossier doivent être encore éclaircis, il me semble que l’implication de membres d’Al Qaïda ne fait aucun doute.
Au total, je crois qu’il faut laisser au juge d’instruction le soin d’éclaircir ce point et de déterminer quelle est l’hypothèse la plus crédible.
M. Bernard Cazeneuve. Le témoignage de M. Juillet est toutefois très perturbant : avant lui, personne n’avait jamais accordé le moindre crédit à la piste indo-pakistanaise. Pourquoi cette hypothèse apparaît-elle maintenant et quelle crédibilité pouvons-nous accorder aux déclarations de cet ancien responsable des services de renseignement ?
M. Bernard Bajolet. Je laisse à M. Juillet la responsabilité de son analyse. Comme je vous l’ai indiqué, je ne partage pas son opinion, même si cette prise de position n’engage que moi.
Je le répète, s’il y a eu des retards dans la transmission des pièces, il n’y a jamais eu la moindre volonté de dissimulation. Le ministre Hervé Morin avait même écrit au juge pour lui indiquer que son ministère possédait des documents classifiés susceptibles de l’intéresser mais qui n’étaient pas alors couverts par le périmètre de ses investigations. Il l’invitait donc à en demander la communication pour pouvoir saisir la CCSDN et déclassifier ces pièces.
Ces documents ont finalement été transmis au magistrat après avis de CCSDN. Je m’étonne qu’on vienne ensuite nous accuser de rétention d’information !
M. Bernard Cazeneuve. Il me faut ici préciser un point très important : dans le cadre de la mission, nous avons demandé des documents qui n’étaient pas couverts par le secret de l’instruction. Le ministre a alors saisi la CCSDN pour déclassifier ces pièces qui n’avaient pas été demandées par le juge, cette manœuvre étant destinée à empêcher que nous ayons connaissance de ces documents. La CCSDN ne statuant que sur demande d’un magistrat, elle a saisi le juge qui a alors demandé la communication de ces pièces. Je relève que sa demande est intervenue une fois notre mission terminée pour ne pas porter préjudice à notre travail.
Je ne fais le procès d’aucun service ni de qui que ce soit. J’essaie de comprendre pourquoi les responsables d’un service de renseignement auditionnés par une mission d’information ne communiquent pas tous les éléments dont ils disposent. Il aurait été préférable qu’ils nous présentent le cheminement de l’enquête, faisant apparaître les incertitudes ou les doutes avant d’en arriver à la conclusion que la piste la plus vraisemblable est celle d’Al Qaïda. De même, je m’étonne que des ministres confirment à trois reprises, devant la représentation nationale, avoir déclassifié tous les documents et qu’après ces déclarations de nouveaux documents soient déclassifiés. Je me félicite de la décision de déclassification qui est très positive ; pour autant, comment des ministres pouvaient-ils ignorer l’existence de documents aussi importants que ceux qui ont été récemment déclassifiés ? Au final, tout le monde est en situation de porte-à-faux et cela entretient un climat de suspicion.
M. Bernard Bajolet. Pour ce qui est de la communication de documents à la mission d’information, l’obstacle était bien juridique, car, je l’ai dit, il fallait éviter de transmettre des éléments susceptibles d’être couverts par le secret de l’instruction.
Sur un plan plus général, je le dis avec force et conviction : il n’y a jamais eu la moindre volonté de cacher des documents ou des informations. Si des éléments sont arrivés plus tardivement, c’est qu’ils se trouvaient dans un dossier annexe et que les services ont dû identifier les éléments éventuellement liés, même de loin, à l’attentat pour pouvoir les transmettre au juge. Vous imaginez bien que le dossier consacré au Pakistan est particulièrement volumineux et que ce travail de sélection prend du temps.
M. Philippe Vitel. Il existe de très nombreux canaux pour le renseignement en matière maritime. Comment coordonnez-vous ces informations et quelles relations entretenez-vous avec les différents services concernés ? Sur le plan opérationnel, quel est votre interlocuteur privilégié, s’agit du secrétariat général à la mer ou de l’état-major de la marine ?
Pouvez-vous également détailler l’évolution des menaces maritimes ?
M. Alain Moyne-Bressand. Les services de renseignement français ont été récemment réformés pour gagner en performance et en efficacité. Considérez-vous que l’organisation des services de nos principaux partenaires est aussi pertinente que la nôtre ? Quel regard portez-vous sur la nature de vos relations avec vos homologues étrangers et notamment avec les Américains ?
Il me semble qu’il y a matière à progresser dans ce domaine : je suis par exemple frappé de constater que les différents services de renseignement n’arrivent pas à localiser Oussama Ben Laden ni à le réduire au silence. Comment appréciez-vous cette situation ?
M. Francis Hillmeyer. Depuis plus de deux ans et demi, vous occupez le poste de coordonnateur national du renseignement avec la difficile mission de faire travailler ensemble des services aux habitudes différentes et qui n’avaient pas toujours le réflexe de communiquer entre eux. Alors que vous vous apprêtez à changer de poste, quel bilan tirez-vous de cette expérience ? Pensez-vous que le renseignement s’est renforcé ? Quelles sont ses faiblesses ou les points qui restent à améliorer ? Considérez-vous enfin que la pérennité de votre poste est assurée ?
M. Bernard Bajolet. S’agissant des aspects maritimes, ils ne recouvrent qu’en partie le champ du renseignement. Des contacts sont établis avec le secrétaire général de la mer et le chef d’état-major de la marine. Nous avons été à l’origine d’une réflexion approfondie sur les narcotrafics, pilotée par le SGDSN, associant notamment le secrétariat général de la mer et l’état-major de la marine et visant à lutter plus en amont contre les narcotrafics. Les résultats de ce travail devront être exploités, en tout cas, je l’espère. La synergie entre la marine nationale, les douanes et les autres services de renseignement doit être renforcée. Les douanes sont d’ailleurs associées à la mutualisation des moyens.
Pour ce qui concerne les relations avec les différents services étrangers, nos propres services ont chacun leur réseau de relations avec leurs homologues. Il ne s’agit pas pour le coordonnateur du renseignement de dupliquer ces contacts. Si je rencontre les directeurs de services étrangers lors de leurs passages à Paris, mes interlocuteurs sont normalement ceux ayant des fonctions similaires à la mienne. Aux États-Unis, il s’agit du directeur du renseignement national, le général James Clapper, et le conseiller antiterroriste de Barack Obama, John Brennan ; au Royaume-Uni, il s’agit d’un adjoint du conseiller national de sécurité, M. Oliver Robbins, qui est chargé du renseignement ; en Allemagne, c’est un secrétaire d’État, M. Hans-Dieter Fritsche. J’ai aussi aidé les services à renforcer leurs relations avec leurs homologues et nous bénéficions d’une coopération fructueuse avec un très grand nombre de partenaires. Grâce aux investissements consentis, nous pouvons avancer des propositions et compter dans les échanges. Nos relations avec les États-Unis sont aujourd’hui plus substantielles et plus équilibrées. Celles avec les services britanniques sont stratégiques. Elles sont de même réciproques et complémentaires. Nous entretenons également des relations avec les services allemands, espagnols, ainsi qu’avec des pays plus éloignés mais avec lesquels nous partageons des intérêts communs, tels que l’Australie ou le Canada, ainsi qu’avec beaucoup d’autres.
Le poste de coordonnateur national du renseignement est-il pérenne ? La question est aussi posée à l’ensemble de la représentation politique de la Nation. Ce poste est nouveau et donc encore fragile. Je formule des vœux pour que le coordonnateur, nommé en conseil des ministres et qui a donc un caractère institutionnel, soit un facilitateur, un catalyseur permettant de faire travailler ensemble les services, leur fixant le cap mais ne se substituant pas à eux. Point d’entrée privilégié des services auprès du Président de la République, et fort de la confiance de ce dernier, le coordonnateur doit prendre le recul nécessaire pour lui transmettre les meilleures informations possibles et rester à l’écart de la politique intérieure. Il agit dans le cadre fixé par la loi et est entendu par la délégation parlementaire au renseignement et d’autres instances comme la commission de la défense. Il garantit la prise en compte de la fonction renseignement au sein de l’État.
M. Yves Fromion. Je souhaite réagir aux propos de mon collègue Meslot. Je n’ai pas mis en cause nos forces armées. Mon interpellation concernait ceux qui ont déclenché l’intervention.
Je rappelle que son poste a été créé à la suite des préconisations du Livre blanc. Le coordonnateur est le point d’entrée privilégié des différents services de renseignement auprès du Président de la République. Il conseille le Président et s’assure de la coopération optimale entre les services.
Alors que vous êtes pressenti pour occuper le poste d’ambassadeur de France en Afghanistan – nous attendons l’agrément des autorités afghanes –, j’ai pensé qu’il serait intéressant de vous entendre dresser le bilan de votre action en tant que coordonnateur. Ce poste vous semble-t-il répondre aux attentes du Livre blanc ? A-t-il permis d’améliorer la collaboration entre les différents services ?
En outre, vous pourrez nous indiquer où en est la réorganisation des services. En particulier, la création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) a-t-elle généré les synergies attendues ? Les moyens consacrés au renseignement sont-ils suffisants et bien répartis ?
Enfin, plus personnellement, quels enseignements tirez-vous de ces deux années et demi de responsabilité ? Et quels conseils donneriez-vous à votre successeur ?
Vous pourrez également nous parler du Sahel, où la vie de certains de nos compatriotes est en danger.
M. Bernard Bajolet, coordonnateur national du renseignement. Merci de me faire, pour la deuxième fois, l’honneur de cet accueil. Je vais dresser un premier bilan de mes activités, deux ans et demi après mon installation à ce poste.
La principale avancée réside dans le fait que les services se parlent et travaillent ensemble. Cela résulte non seulement de l’action du coordonnateur mais également de celle des directeurs des services, notamment de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la DCRI. Auparavant, ils ne travaillaient pas aussi bien ensemble. Désormais, le risque que nous manquions quelque chose par rétention d’information entre les services est quasi inexistant.
Au final, l’instauration d’un coordonnateur a offert un espace de respiration aux services les plus encadrés sur le plan hiérarchique, tandis que ceux qui craignaient de perdre celui dont ils disposaient déjà se sont trouvés rassurés. Nous sommes parvenus à un bon point d’équilibre et constituons désormais une véritable équipe, dont je suis l’animateur.
J’ai également pour responsabilité de fixer les grandes orientations, sous l’autorité du Président de la République. Un plan national d’orientation du renseignement a été adopté sur trois ans.
Un autre aspect de mon action est d’assurer la remontée du renseignement produit par les six services spécialisés. La DGSE, la DCRI, la direction du renseignement militaire (DRM), la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD), la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) ainsi que Tracfin me font parvenir chaque jour leurs productions, à charge pour moi d’identifier ce qui est susceptible d’intéresser le Président de la République et le Premier ministre. J’assure ainsi la remontée des informations, qui est sans doute plus systématique qu’auparavant.
Je veille également à ce que les services disposent des moyens nécessaires pour accomplir leur mission. En ce qui concerne l’investissement, nous avons la charge de piloter des programmes dont certains sont mutualisés entre les services, tels les moyens informatiques et électroniques. Pour ce qui est de l’imagerie spatiale, nous avons décidé d’engager en national le programme MUSIS – successeur d’Hélios – en raison de l’absence de réponse de nos partenaires européens, tout en leur laissant la porte ouverte. Il nous semblait en effet crucial de ne pas accroître le risque de rupture capacitaire. D’autres programmes vont faire l’objet de décisions prochainement, par exemple le remplacement de nos drones MALE – qui viendront en fin de vie vers 2013.
S’agissant des ressources humaines, une meilleure mobilité entre les services et leur plus grande ouverture vers l’extérieur sont nécessaires, de même qu’une formation plus systématique des cadres, d’où l’intérêt de l’Académie du renseignement que le Premier ministre a inaugurée le 20 septembre dernier. Cette académie a aussi pour mission de veiller à la mutualisation des formations que les services assuraient déjà eux-mêmes.
La coordination s’est également attachée à renforcer le lien et la complémentarité entre le dispositif de renseignement économique et l’intelligence économique – c’est-à-dire la collecte d’informations par des services autres que les services de renseignement. Il s’agit notamment des informations ouvertes et de celles disponibles dans les administrations. Une délégation interministérielle à l’intelligence économique a été créée en septembre 2009. Elle est dirigée par un ancien industriel, M. Olivier Buquen. Bien que située à Bercy, elle reçoit ses orientations d’un comité directeur établi à l’Élysée, tandis que le suivi des recommandations est assuré par Matignon.
À l’occasion de mes premières auditions au Parlement, la question de l’articulation avec les services du Premier ministre avait été posée, certains s’inquiétant de voir la coordination assurée à l’Élysée. Si celle-ci ne peut pas être ailleurs - sans quoi il y aurait toujours une instance d’appel au-dessus d’elle - il faut observer que le coordonnateur du renseignement est nommé par décret en conseil des ministres, c’est-à-dire sur proposition du Premier ministre. Il est chargé d’informer le Président de la République, mais aussi le Premier ministre ainsi que son cabinet, avec lequel la relation est étroite. Enfin, le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), service du Premier ministre, intervient en appui du coordonnateur pour certaines missions.
La DCRI résulte de la fusion de la DST avec une partie des renseignements généraux. Cette réforme, envisagée depuis deux décennies, est un succès. Cela ne signifie pas pour autant que les deux cultures ont entièrement fusionné : sans doute faudra-t-il encore du temps pour cela. La diversité culturelle n’est d’ailleurs pas forcément néfaste, comme le démontre le travail commun qu’effectuent la DGSE, la DCRI, la DRM et les autres services associés.
Il faudra néanmoins poursuivre le mouvement, notre priorité étant la lutte contre le terrorisme, qu’il menace nos intérêts à l’étranger ou, naturellement, le territoire national. Les équipes de la DCRI et celles de la DGSE travaillent en étroite concertation, là où il n’y a pas de frontière entre menace intérieure et menace extérieure. La menace intérieure, quant à elle, est croissante : elle se nourrit d’un phénomène nouveau d’auto-radicalisation qui existe dans la plupart des pays européens ainsi qu’aux États-Unis. Pour y faire face, nous devons être en mesure de la détecter aussi tôt que possible. L’incident qui s’est récemment produit en Suède montre que le risque d’attentat commis par des individus qui se sont radicalisés eux-mêmes est bien réel.
C’est pourquoi il faudra, au cours des prochaines années - c’est ma conviction personnelle - procéder à un rééquilibrage entre la DGSE et la DCRI, en veillant à ne pas affaiblir la première, désormais crédible auprès de ses principaux partenaires étrangers, tout en renforçant la seconde. Celle-ci devra notamment ouvrir son recrutement au-delà des seuls effectifs policiers. En effet, le renseignement se diversifie et touche désormais les domaines économique – dans lequel la DCRI accomplit un travail remarquable – ou technique. À cet égard, elle doit pouvoir participer aux efforts de mutualisation. Or, en l’état actuel des choses, les moyens de ces deux services ne sont pas équivalents.
En outre, il faudra procéder à des arbitrages concernant les investissements du ministère de la défense. Tous les projets ne pourront pas être conduits au même rythme. La priorité doit être accordée au programme MUSIS d’imagerie spatiale, domaine dans lequel nous ne pouvons plus nous permettre de retard, ainsi qu’au programme de renseignement électromagnétique spatial CERES, dont le calendrier devra être affiné. La question des drones, comme je l’ai indiqué, sera prochainement tranchée. En outre, en matière de ressources humaines, des ingénieurs et des analystes seront indispensables pour exploiter les images produites par ces équipements.
M. le président Guy Teissier. Nous avons découvert avec surprise que la révolution tunisienne avait sans doute reçu l’appui ou, à tout le moins, la bénédiction des États-Unis. Avions-nous au moins connaissance de ce qui se préparait, alors même que les Américains semblaient parfaitement au courant ? Curieusement, c’est vers eux que s’est tourné le général Ammar, qui semble avoir été le grand ordonnateur de cette opération. N’aurait-on pas pu penser que la France était le pays le plus proche et le plus susceptible d’aider à l’évolution de la Tunisie ? Les services ont-ils été surpris par ces événements ? Auraient-ils gardé le silence en dépit du fait qu’ils étaient conscients de ce qui se préparait ?
M. Bernard Bajolet. Je ne dispose d’aucun élément me permettant de confirmer que les Américains ont donné le « coup de pouce » final en Tunisie, même si l’hypothèse ne peut être totalement écartée, un certain nombre d’officiers tunisiens ayant été formés aux États-Unis.
Soyons honnêtes : ni notre ambassade, ni nos services de renseignement, ni les think tanks, en fait personne, n’a vu venir la révolution tunisienne. Cela étant, il est important de savoir ce que l’on attend des uns et des autres. La question de la répartition des missions entre le réseau diplomatique et les services de renseignement a été évoquée dans le cadre de la préparation du plan national d’orientation du renseignement. L’observation de l’évolution profonde des sociétés et des mouvements politiques incombe aux diplomates. Je le dis d’autant plus facilement qu’étant moi-même diplomate, je ne peux être soupçonné de chercher à me défausser à un titre ou à un autre. En tout état de cause, il n’appartient pas aux services de renseignement d’étudier les courants profonds qui traversent les sociétés, qu’il s’agisse du Maghreb, du monde arabe ou d’autres régions du monde. En revanche, loin de s’enfermer dans un cocon, à l’abri de leurs murailles, les ambassades ont pour mission de s’informer sur les évolutions en cours dans tous les milieux de la société des pays où elles exercent, au besoin avec l’appui d’universitaires ou de cercles de réflexion, et c’est ce qu’elles font le plus souvent. De leur côté, les services de renseignement doivent se garder de produire ce qui ne serait que de mauvais télégrammes diplomatiques d’analyse politique. Ils ont d’ailleurs cessé de le faire. Ils doivent plutôt fournir à l’État des informations auxquelles les diplomates n’ont pas accès. En somme, le renseignement commence là où s’arrête la diplomatie – et, dans les pays fermés comme l’était la Tunisie, elle s’arrête souvent assez vite. Les services doivent donc nous renseigner sur ce qui se passe dans les cercles dirigeants et les milieux politiques, en vue d’anticiper les événements à venir.
En Tunisie, M. Ben Ali lui-même a de toute évidence été dépassé par les événements. À titre personnel, ce n’est qu’à 18 heures, le 14 janvier, que j’ai appris qu’il avait quitté le pays et quelle destination il entendait gagner, ainsi que l’endroit où se trouvaient les principaux membres de sa famille. Nous n’avons donc été informés qu’en temps réel, mais c’est déjà quelque chose.
Se pose désormais la question de l’évolution de la situation dans les pays voisins – Algérie, Maroc, Libye, Égypte, Syrie, Yémen ou encore Jordanie. À cet égard, j’observe que le dispositif de l’État ne pourvoit pas suffisamment à la fonction de prospective. Le Livre blanc souligne l’importance de la fonction « connaissance et anticipation », mais celle-ci a été cantonnée au renseignement. Si la réforme prônée dans ce document sur cet aspect précis a été mise en œuvre, le volet « anticipation » de notre action n’a été, à mon avis, que partiellement traité. Or, l’anticipation ne se limite pas au renseignement ; elle touche aussi à la prospective. Hélas, celle-ci n’est pas organisée au niveau interministériel. Nous disposons de différents organismes : le ministère de l’intérieur et celui des affaires étrangères ont chacun une direction de la prospective et le ministère de la défense possède une direction des affaires stratégiques ; mais ces structures ne sont pas reliées entre elles. De surcroît, la prospective n’est pas toujours envisagée de façon opérationnelle. Au-delà de la simple spéculation, elle doit présenter des scénarios et déboucher sur des politiques concrètes. Aujourd’hui, cette fonction n’est pas assumée. Le conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques placé auprès du Premier ministre ne joue pas non plus ce rôle. Celui-ci doit donc être développé au sein de l’État, dans un cadre interministériel, pourquoi pas au sein du SGDSN ?
M. Yves Fromion. En tant que rapporteur du budget du renseignement, je confirme la montée en puissance des moyens affectés à nos services de renseignement et en priorité à la DGSE, même si des lacunes persistent. J’ai pu mesurer combien votre action en tant que coordonnateur a été extrêmement positive, d’autant plus que je préside la mission de contrôle de l’emploi des fonds spéciaux. Ils irriguent largement des services de renseignement sur lesquels je porte un regard scrutateur. Or, je constate qu’une véritable culture du travail en commun prend corps dans nos services de renseignement, qu’il s’agisse du partage d’installations très sophistiquées et coûteuses, mais aussi du partage de renseignements, en matière de terrorisme notamment.
Concernant le Sahel, il semble que les moyens techniques dont nous disposons pour assurer le suivi d’une situation dans une zone très vaste et difficile à contrôler soient insuffisants. On ne saurait pourtant en faire l’économie. Les drones, par exemple, nous ont cruellement manqué ; la surveillance aérienne a également présenté des lacunes. Nous ne pouvons plus prétendre que le terrorisme est la priorité de notre action sécuritaire de défense sans en tirer les enseignements suffisants pour la répartition de nos moyens sur le terrain. Je ne nie pas l’intérêt de notre présence en Afghanistan, mais les principaux enjeux en matière de terrorisme se rapprochent de la France – un état de fait dont nous n’avons pas encore assez pris conscience. Peut-on envisager un rééquilibrage de nos forces au bénéfice du Sahel, qui est d’une urgente nécessité ?
Enfin, je suis très réservé quant à la façon dont la récente prise d’otages français à Niamey a été traitée. Il ne s’agit naturellement pas ici de briser la nécessaire union nationale contre le terrorisme, mais ceux qui ont donné l’ordre d’intervention devraient en tirer les enseignements afin de mieux réagir à l’avenir. En effet, c’est à la chance que l’on doit de n’avoir pas subi des dégâts plus importants encore. Gardons-nous de reproduire à l’avenir ce genre d’expédition insuffisamment mûrie.
M. Yves Vandewalle. Pourriez-vous nous dire ce qu’il en est de l’affaire Renault et ce que vous pensez des attaques de l’avocat du groupe contre la DCRI ?
M. Damien Meslot. Autant le contrôle du terrorisme sur le sol national semble fonctionner avec succès, puisque les services ont, jusqu’à présent, réussi à éviter que se produisent en France des drames semblables à ceux qu’ont connus le Royaume-Uni ou l’Espagne, autant la situation au Sahel étonne : lors des deux derniers cas d’enlèvement, l’un sur un site industriel et l’autre à la terrasse d’un café, nos services ont été quelque peu surpris par les actions des terroristes, et ont semblé insuffisamment préparés à de tels actes. Qu’en est-il exactement ?
J’ajoute que je suis en total désaccord avec M. Fromion : en dépit du résultat final de l’opération, je suis convaincu que nous avons bien fait d’intervenir. Face au terrorisme, il faut savoir ne plus céder. En cas de succès, tout le monde aurait applaudi. Nous pouvons rendre hommage à l’action de nos forces et je suis fier d’elles, malgré l’échec. Il faut à chaque occasion démontrer aux terroristes que nous pouvons réagir.
M. Bernard Bajolet. Notre objectif est d’abord d’appuyer les États du Sahel afin qu’ils renforcent leurs capacités d’action contre le terrorisme. Il ne s’agit pas de nous substituer à eux ni mettre le doigt dans un engrenage qui ferait du Sahel une nouvelle terre de jihad. Toutefois, lorsque la vie de compatriotes est en danger, l’État n’a d’autre choix que d’intervenir. L’inaction ne serait pas comprise. Nous aurions évidemment souhaité que les choses se terminent autrement, mais nous estimions que nous ne pouvions rester les bras croisés.
La question au Sahel n’est pas seulement une question militaire ou de renseignement, c’est d’abord une question de développement économique. Il est certain que si les populations pouvaient voir leur condition de vie s’améliorer, les groupes terroristes n’y évolueraient pas aussi facilement. Aussi, nous nous efforçons d’impliquer au maximum l’Union européenne sur cette question afin que le Sahel compte parmi les priorités de son action extérieure. En outre, nous cherchons à aider les pays de la région – Mauritanie, Mali, Niger, en particulier – à se doter des moyens militaires et de capacités de renseignement pour faire face à la menace terroriste. Il faut les aider, les motiver, les équiper et les former, pas faire les choses à leur place
Mais, encore une fois, en dernier ressort, lorsque nos intérêts sont directement visés, nous avons le devoir d’agir. La critique a posteriori est aisée, mais qu’aurions-nous entendu si rien n’avait été fait ?
S’agissant de l’affaire d’Arlit, je ne pense pas que nos services se soient laissé dépasser. Ce n’est pas faute d’avoir sensibilisé les uns et les autres, car nos services étaient parfaitement conscients du risque d’enlèvement. Il demeure aujourd’hui et la ministre des affaires étrangères a eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet s’agissant notamment des festivals au Mali. Nous disposons d’éléments très précis selon lesquels Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) cherche actuellement à enlever de nouveaux ressortissants occidentaux.
En ce qui concerne l’enlèvement d’Antoine de Léocour et de Vincent Delory nous avons été surpris qu’il intervienne en plein cœur de Niamey, ce qui illustre l’audace croissante des preneurs d’otages.
L’affaire de Renault doit être analysée avec prudence. Je n’ai pas connaissance de fuites en provenance de la DCRI. Il s’agit d’une affirmation formulée par l’avocat d’une partie et qui n’engage que lui. Je rappelle que la DCRI n’a été invitée à se rendre au siège de Renault que le 6 janvier dernier. Pour ma part, j’ai été informé par des dirigeants de l’entreprise le même jour dans l’après-midi. Nous nous sommes alors étonnés d’avoir été informés si tardivement et nous les avons incités à déposer plainte très rapidement, afin que la DCRI puisse agir. Bernard Squarcini a reçu cette même délégation le lundi suivant et leur a tenu le même discours, tout en leur assurant que son service accompagnerait l’entreprise dans sa démarche. Il y travaille donc actuellement, sous l’autorité du parquet.
M. Michel Grall. Au Liban, la constitution prévoit que le chef de l’État soit de confession chrétienne et le premier ministre un musulman sunnite. Or, un nouveau premier ministre, sunnite, a été sélectionné par le Hezbollah, un parti chiite. En phase avec ce parti et avec la Syrie, le nouveau Gouvernement qu’il doit former pourrait bien s’opposer aux conclusions du tribunal spécial pour le Liban instauré à la suite de l’assassinat de Rafic Hariri. Quelle analyse générale faites-vous aujourd’hui des risques que présente la situation très instable dans ce pays ?
M. Daniel Boisserie. Vous avez indiqué que tous ignoraient la destination finale de M. Ben Ali lorsqu’il a quitté la Tunisie. Mais aviez-vous connaissance de ses souhaits ?
Comment analysez-vous l’évolution de la situation dans les pays arabes ? Des manifestations de grande ampleur se déroulent actuellement en Algérie et en Égypte. Concernant ce dernier pays, quelle est l’attitude d’Israël face à ces événements ?
M. Jean-Jacques Candelier. Monsieur l’ambassadeur, nul n’a vu arriver la révolution tunisienne, ni vous, ni nous, ni le Gouvernement. Nous n’avions pas prévu non plus le départ de M. Ben Ali qui s’est précipité.
Comment voyez-vous la situation en Algérie et en Égypte, où l’on parle de milliers de manifestants dans les rues ? Se dirige-t-on vers la même fin ?
Le suivi de la situation des otages français s’effectue-t-il directement depuis l’Élysée ?
Enfin, concernant les deux jeunes de Linselles, enlevés et exécutés au Niger et Mali, je pense qu’on est allé un peu vite.
M. Bernard Bajolet. La France, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, soutient l’activité du tribunal spécial pour le Liban et souhaite naturellement qu’il puisse accomplir sa mission en toute indépendance, sans se laisser influencer par aucune tentative d’intimidation. Nous suivons bien sûr avec beaucoup d’attention la situation dans ce pays, auquel vous savez combien de liens nous attachent. Sans interférer dans ses affaires intérieures, nous sommes en contact avec les principaux acteurs nationaux et régionaux pour apporter toute notre contribution au maintien de sa stabilité.
Nous avons été informés que M. Ben Ali souhaitait se poser à Chypre pour une destination finale qui nous était inconnue. Sa femme se trouvait à Dubaï et une de ses filles en France. Nous avons appris par la suite qu’il se dirigeait vers l’Arabie saoudite. Nous avons donc suivi les choses en temps réel ou à peu près.
Si les événements de Tunisie ont une influence profonde sur les opinions publiques, notamment en Algérie et en Égypte, les situations y sont différentes. Il faut donc se garder d’appliquer tel quel le schéma tunisien à chacun d’entre eux, car pour le moins, il est susceptible de variantes.
J’imagine qu’Israël observe ces évolutions avec beaucoup de préoccupation et de circonspection car, actuellement, nul ne sait sur quoi elles peuvent déboucher. Il en va de même pour la situation au Liban où la composition du Gouvernement ne sera pas neutre vis-à-vis des équilibres locaux et régionaux.
Enfin, pour répondre à la question de M. Candelier, nous devions empêcher le groupe de terroristes de conduire les otages dans des repaires où toute solution aurait été impossible. Nous avons agi extrêmement vite, mais nous serions tout autant critiqués si nous ne l’avions pas fait.
M. Philippe Folliot. Je me suis rendu en Afghanistan la semaine dernière et j’ai trouvé le personnel sur place, nos militaires comme diplomates, de grande qualité.
Ma question porte sur le secteur de la Kapisa. La présence des deux otages dans notre secteur d’opérations perturbe évidemment l’action de nos soldats. Cette contrainte s’inscrivant dans la durée, ne peut-on craindre qu’elle rende leur libération toujours plus difficile, compte tenu notamment de l’avantage tactique que procure à la rébellion le fait de disposer de « boucliers humains » ?
M. Christophe Guilloteau. Concernant la prise d’otages au Mali, je suis gêné que les versions des faits qui ont été données soient aussi différentes.
Dans le prolongement de l’affaire de Renault, pourriez-vous nous indiquer si les autres grandes entreprises françaises sont suffisamment sensibilisées aux questions d’espionnage industriel et si elles font appel à vos services ? Pouvez-vous également décrire la façon dont les services de l’État s’organisent pour répondre aux cyberattaques ?
M. Marc Joulaud. De quels outils disposez-vous en matière d’intelligence économique ? Quel est votre sentiment sur la situation en Côte d’Ivoire ?
M. Bernard Bajolet. Je ne souhaite pas faire de commentaire sur la question des otages car, dans ce genre de situation, nous appliquons un principe constant de discrétion. Je me garderai également de m’exprimer sur les opérations militaires en cours en Afghanistan.
Nous menons un important travail de sensibilisation des entreprises à la sécurité économique par l’intermédiaire de la DCRI, de la DPSD et de la délégation interministérielle à l’intelligence économique. La DCRI travaille ainsi avec près de 8 000 entreprises et la DPSD près de 2 000 et ces deux services mènent leur mission de façon remarquable. Mais certaines entreprises se sentent encore trop peu concernées, ainsi qu’en témoignent les différentes affaires qui me sont signalées chaque jour, comme des vols d’ordinateurs ou encore des visites de délégations mal encadrées.
Concernant les cyberattaques, nous sommes effectivement entrés dans une nouvelle phase ces derniers temps. Nous avons décelé des attaques de très grande ampleur contre des grandes entreprises et des administrations d’État qui avaient pour but de s’approprier leurs bases de données.
Nous nous dotons des outils nécessaires pour y faire face : après avoir renforcé l’agence nationale de sécurité des systèmes d’information, le Gouvernement va créer un poste de directeur des systèmes d’information de l’État, chargé de sécuriser les réseaux des ministères. L’objectif est de disposer d’une organisation à la hauteur du défi informatique. Il s’agit d’un dossier que le Président de la République suit de très près.
Sur la Côte d’Ivoire, la position du Gouvernement est très claire : le Président légitimement élu et reconnu comme tel par toute la communauté internationale est M. Alassane Ouattara. Son ambassadeur à Paris a été accrédité. Si nous sommes actuellement dans une impasse, nous pensons que la situation est appelée à évoluer à terme, compte tenu notamment de la perspective d’une maîtrise progressive des moyens financiers de l’État par le Président légitime.
M. Guillaume Garot. Pourriez-vous faire le point sur la situation de nos otages détenus à travers le monde ?
M. Franck Gilard. Vous avez évoqué une menace venue du sol français qui serait le fruit d’une radicalisation de la communauté musulmane : avez-vous une idée du renforcement des réseaux dormants dans les milieux islamistes français ?
Existe-t-il une interconnexion entre ces réseaux islamistes à l’échelle européenne ?
Dans quelle mesure le développement de l’islam dans les sociétés européennes peut-il, au cours des trente prochaines années, poser des problèmes en matière de sécurité nationale ?
M. Georges Mothron. Je suis élu de la deuxième couronne parisienne où la montée du salafisme avait été jugulée il y a une quinzaine d’années par la construction de mosquées. Or nous y assistons aujourd’hui à la renaissance de cet islamisme radical. Est-ce que le sentiment que j’ai à l’échelon local est valable à l’échelon national ?
M. Bernard Bajolet. Concernant les otages, je formulerai la même réponse que tout à l’heure. Il s’agit là d’un sujet que je ne souhaite pas commenter. Tout ce que je puis dire est que tous les services de l’État sont pleinement mobilisés.
M. le président Guy Teissier. À défaut de répondre sur les actions entreprises par les services français, pouvez-vous nous dire un mot sur leurs geôliers ? Sont-ils les mêmes dans les différents cas ? Comment les relier aux récentes déclarations d’Oussama Ben Laden ?
M. Bernard Bajolet. Il est vrai que, depuis quelque temps, la France est davantage la cible d’Oussama Ben Laden, mais nous devons apprécier ses récentes déclarations à la lumière du contrôle plus ou moins effectif qu’il exerce sur les différentes catégories de geôliers dont il s’agit.
En ce qui concerne l’islam en France, il faut se garder de tout amalgame avec le terrorisme. L’islam radical ne représente qu’une infime minorité. Il faut également relativiser la relation entre la problématique de l’intégration et celle de la menace terroriste. Ainsi, dans le cas récent de la tentative d’attentat suicide à Stockholm, le terroriste était parfaitement intégré. Il en va de même de l’auteur de la tentative d’attentat sur la ligne Amsterdam – Détroit en décembre 2009. Il n’existe pas donc de lien automatique entre défaut d’intégration et terrorisme.
Concernant le lien des cellules européennes avec les différents réseaux internationaux, nous avons effectivement établi récemment des connexions avec les réseaux actifs dans la zone afghano-pakistanaise.
M. le président Guy Teissier. Et pour la résurgence du prosélytisme ?
M. Bernard Bajolet. Nous assistons, en effet, à un prosélytisme renaissant, que nous suivons de très près. Dès lors qu’il y a incitation à la haine et à la violence, l’État a le devoir de réagir. Il le fait avec différents cas de figure juridiques, selon que le prédicateur, quand il s’agit d’un prêche, possède ou pas la nationalité française.
M. Michel Voisin. La levée du secret de la défense nationale sur les opérations de libération des otages français a fait l’objet d’une couverture médiatique importante. Cela n’induit-il pas un risque dans la mesure où nous dévoilons ainsi assez largement nos modes d’action, avec leurs forces et leurs faiblesses ?
M. Bernard Cazeneuve. Je souhaiterais vous interroger sur le dossier de Karachi, même si je comprendrais aisément que vous ne puissiez pas forcément répondre à toutes mes questions.
La commission de la défense a créé une mission d’information afin de progresser dans la vérité et dans la compréhension des circonstances entourant l’attentat du 8 mai 2002. Dans ce cadre, nous avons auditionné des responsables de la DGSE qui se sont révélés extrêmement précis et complets. Les documents de synthèse qu’ils nous ont transmis, et que nous avons publiés dans le rapport, tendaient à prouver que l’attentat avait été commandité par Al Qaïda.
Dans le même temps, le juge d’instruction Marc Trévidic a demandé la déclassification de la totalité des documents relatifs à cet attentat. Lorsque je les ai interrogés, les ministres concernés ont répondu à trois reprises qu’ils déclassifieraient l’intégralité des pièces demandées.
Or, deux éléments nouveaux sont venus modifier la situation ces dernières semaines. Alors que les ministres avaient indiqué avoir déclassifié tous les documents, une nouvelle note de la DGSE est apparue. Ce document privilégiait, dès le 8 mai 2002, la piste d’un attentat perpétré pour des raisons financières, sans d’ailleurs que cette hypothèse soit suffisamment justifiée. Or, à aucun moment la DGSE n’a évoqué cette note devant la mission d’information.
Par ailleurs, la presse a rendu compte, malgré le secret de l’instruction, du contenu de l’audition de M. Alain Juillet, ancien haut responsable de la DGSE. Selon lui, l’attentat serait plutôt une mesure de représailles pakistanaise à la suite de la vente par la France de sous-marins à l’Inde.
Au vu de ces éléments et d’après votre expérience des services de renseignement, comment expliquez-vous qu’il ait fallu aussi longtemps pour déclassifier les documents ? Lorsque les ministres ont répondu aux questions que nous leur posions, savaient-ils que les services détenaient encore des documents classifiés ou pensaient-ils réellement que toutes les pièces avaient été transmises ?
Ma deuxième interrogation est plus directement liée aux déclarations de M. Alain Juillet. Comment comprendre que l’explication qu’il avance n’ait jamais été évoquée lors des auditions de la mission d’information ? En tant que coordonnateur au renseignement, de quels éléments disposez-vous sur ce point précis et quelle hypothèse privilégiez-vous ?
M. Bernard Bajolet. Il me semble qu’il faut trouver un juste équilibre entre le souci de M. Voisin de ne pas déclassifier trop vite et la demande de M. Cazeneuve de transmettre au juge d’instruction les documents dans les meilleurs délais.
En ce qui concerne la libération de nos otages à Niamey, nous avons tout fait pour que le juge d’instruction dispose rapidement des éléments nécessaires à son enquête. Il fallait permettre à la justice de faire son travail pour répondre aux attentes légitimes des familles des victimes. En l’espèce, la difficulté était liée aux images prises par les armées et couvertes par le secret de la défense nationale. Ce sont ces données qui ont été transmises à la commission consultative du secret de la défense nationale (CCSDN) pour une déclassification rapide.
Quant au dossier de Karachi, je crois qu’un mauvais procès est fait aux services de l’État. La volonté de déclassifier l’ensemble des pièces existe et c’est une réalité qu’il faut prendre en compte. La DGSE avait déjà fourni beaucoup de documents au juge mais cela semblait ne pas suffire. Les services ont donc poussé leurs recherches, y compris dans des dossiers sans lien direct évident avec l’affaire. C’est à cette occasion que de nouvelles pièces ont pu apparaître, mais elles n’étaient en aucun cas préalablement cachées.
Il y a certainement eu des maladresses, mais jamais de mauvaise volonté. J’aurais personnellement préféré que davantage d’éléments soient transmis à la mission d’information parlementaire et je comprends que vous ayez pu vous sentir frustré. Je tiens toutefois à préciser que cette situation résulte d’une difficulté juridique : dans quelle mesure la transmission de documents à votre mission était-elle compatible avec le travail du juge d’instruction ? Était-il possible de vous communiquer des éléments susceptibles d’être demandés par le magistrat ? Le ministère de la défense a saisi celui de la justice de cette question, via Matignon, mais n’a pas obtenu de réponse avant l’achèvement de vos travaux.
J’en viens à la note dont vous faites état. Je m’interroge sur la pertinence et la crédibilité d’une opinion recueillie par le Service le jour même de l’attentat. Il me semble difficile d’émettre une analyse sérieuse de façon aussi immédiate.
Pour ma part, je suis convaincu que l’attentat n’a aucun rapport avec la vente des sous-marins Agosta. Si certains aspects du dossier doivent être encore éclaircis, il me semble que l’implication de membres d’Al Qaïda ne fait aucun doute.
Au total, je crois qu’il faut laisser au juge d’instruction le soin d’éclaircir ce point et de déterminer quelle est l’hypothèse la plus crédible.
M. Bernard Cazeneuve. Le témoignage de M. Juillet est toutefois très perturbant : avant lui, personne n’avait jamais accordé le moindre crédit à la piste indo-pakistanaise. Pourquoi cette hypothèse apparaît-elle maintenant et quelle crédibilité pouvons-nous accorder aux déclarations de cet ancien responsable des services de renseignement ?
M. Bernard Bajolet. Je laisse à M. Juillet la responsabilité de son analyse. Comme je vous l’ai indiqué, je ne partage pas son opinion, même si cette prise de position n’engage que moi.
Je le répète, s’il y a eu des retards dans la transmission des pièces, il n’y a jamais eu la moindre volonté de dissimulation. Le ministre Hervé Morin avait même écrit au juge pour lui indiquer que son ministère possédait des documents classifiés susceptibles de l’intéresser mais qui n’étaient pas alors couverts par le périmètre de ses investigations. Il l’invitait donc à en demander la communication pour pouvoir saisir la CCSDN et déclassifier ces pièces.
Ces documents ont finalement été transmis au magistrat après avis de CCSDN. Je m’étonne qu’on vienne ensuite nous accuser de rétention d’information !
M. Bernard Cazeneuve. Il me faut ici préciser un point très important : dans le cadre de la mission, nous avons demandé des documents qui n’étaient pas couverts par le secret de l’instruction. Le ministre a alors saisi la CCSDN pour déclassifier ces pièces qui n’avaient pas été demandées par le juge, cette manœuvre étant destinée à empêcher que nous ayons connaissance de ces documents. La CCSDN ne statuant que sur demande d’un magistrat, elle a saisi le juge qui a alors demandé la communication de ces pièces. Je relève que sa demande est intervenue une fois notre mission terminée pour ne pas porter préjudice à notre travail.
Je ne fais le procès d’aucun service ni de qui que ce soit. J’essaie de comprendre pourquoi les responsables d’un service de renseignement auditionnés par une mission d’information ne communiquent pas tous les éléments dont ils disposent. Il aurait été préférable qu’ils nous présentent le cheminement de l’enquête, faisant apparaître les incertitudes ou les doutes avant d’en arriver à la conclusion que la piste la plus vraisemblable est celle d’Al Qaïda. De même, je m’étonne que des ministres confirment à trois reprises, devant la représentation nationale, avoir déclassifié tous les documents et qu’après ces déclarations de nouveaux documents soient déclassifiés. Je me félicite de la décision de déclassification qui est très positive ; pour autant, comment des ministres pouvaient-ils ignorer l’existence de documents aussi importants que ceux qui ont été récemment déclassifiés ? Au final, tout le monde est en situation de porte-à-faux et cela entretient un climat de suspicion.
M. Bernard Bajolet. Pour ce qui est de la communication de documents à la mission d’information, l’obstacle était bien juridique, car, je l’ai dit, il fallait éviter de transmettre des éléments susceptibles d’être couverts par le secret de l’instruction.
Sur un plan plus général, je le dis avec force et conviction : il n’y a jamais eu la moindre volonté de cacher des documents ou des informations. Si des éléments sont arrivés plus tardivement, c’est qu’ils se trouvaient dans un dossier annexe et que les services ont dû identifier les éléments éventuellement liés, même de loin, à l’attentat pour pouvoir les transmettre au juge. Vous imaginez bien que le dossier consacré au Pakistan est particulièrement volumineux et que ce travail de sélection prend du temps.
M. Philippe Vitel. Il existe de très nombreux canaux pour le renseignement en matière maritime. Comment coordonnez-vous ces informations et quelles relations entretenez-vous avec les différents services concernés ? Sur le plan opérationnel, quel est votre interlocuteur privilégié, s’agit du secrétariat général à la mer ou de l’état-major de la marine ?
Pouvez-vous également détailler l’évolution des menaces maritimes ?
M. Alain Moyne-Bressand. Les services de renseignement français ont été récemment réformés pour gagner en performance et en efficacité. Considérez-vous que l’organisation des services de nos principaux partenaires est aussi pertinente que la nôtre ? Quel regard portez-vous sur la nature de vos relations avec vos homologues étrangers et notamment avec les Américains ?
Il me semble qu’il y a matière à progresser dans ce domaine : je suis par exemple frappé de constater que les différents services de renseignement n’arrivent pas à localiser Oussama Ben Laden ni à le réduire au silence. Comment appréciez-vous cette situation ?
M. Francis Hillmeyer. Depuis plus de deux ans et demi, vous occupez le poste de coordonnateur national du renseignement avec la difficile mission de faire travailler ensemble des services aux habitudes différentes et qui n’avaient pas toujours le réflexe de communiquer entre eux. Alors que vous vous apprêtez à changer de poste, quel bilan tirez-vous de cette expérience ? Pensez-vous que le renseignement s’est renforcé ? Quelles sont ses faiblesses ou les points qui restent à améliorer ? Considérez-vous enfin que la pérennité de votre poste est assurée ?
M. Bernard Bajolet. S’agissant des aspects maritimes, ils ne recouvrent qu’en partie le champ du renseignement. Des contacts sont établis avec le secrétaire général de la mer et le chef d’état-major de la marine. Nous avons été à l’origine d’une réflexion approfondie sur les narcotrafics, pilotée par le SGDSN, associant notamment le secrétariat général de la mer et l’état-major de la marine et visant à lutter plus en amont contre les narcotrafics. Les résultats de ce travail devront être exploités, en tout cas, je l’espère. La synergie entre la marine nationale, les douanes et les autres services de renseignement doit être renforcée. Les douanes sont d’ailleurs associées à la mutualisation des moyens.
Pour ce qui concerne les relations avec les différents services étrangers, nos propres services ont chacun leur réseau de relations avec leurs homologues. Il ne s’agit pas pour le coordonnateur du renseignement de dupliquer ces contacts. Si je rencontre les directeurs de services étrangers lors de leurs passages à Paris, mes interlocuteurs sont normalement ceux ayant des fonctions similaires à la mienne. Aux États-Unis, il s’agit du directeur du renseignement national, le général James Clapper, et le conseiller antiterroriste de Barack Obama, John Brennan ; au Royaume-Uni, il s’agit d’un adjoint du conseiller national de sécurité, M. Oliver Robbins, qui est chargé du renseignement ; en Allemagne, c’est un secrétaire d’État, M. Hans-Dieter Fritsche. J’ai aussi aidé les services à renforcer leurs relations avec leurs homologues et nous bénéficions d’une coopération fructueuse avec un très grand nombre de partenaires. Grâce aux investissements consentis, nous pouvons avancer des propositions et compter dans les échanges. Nos relations avec les États-Unis sont aujourd’hui plus substantielles et plus équilibrées. Celles avec les services britanniques sont stratégiques. Elles sont de même réciproques et complémentaires. Nous entretenons également des relations avec les services allemands, espagnols, ainsi qu’avec des pays plus éloignés mais avec lesquels nous partageons des intérêts communs, tels que l’Australie ou le Canada, ainsi qu’avec beaucoup d’autres.
Le poste de coordonnateur national du renseignement est-il pérenne ? La question est aussi posée à l’ensemble de la représentation politique de la Nation. Ce poste est nouveau et donc encore fragile. Je formule des vœux pour que le coordonnateur, nommé en conseil des ministres et qui a donc un caractère institutionnel, soit un facilitateur, un catalyseur permettant de faire travailler ensemble les services, leur fixant le cap mais ne se substituant pas à eux. Point d’entrée privilégié des services auprès du Président de la République, et fort de la confiance de ce dernier, le coordonnateur doit prendre le recul nécessaire pour lui transmettre les meilleures informations possibles et rester à l’écart de la politique intérieure. Il agit dans le cadre fixé par la loi et est entendu par la délégation parlementaire au renseignement et d’autres instances comme la commission de la défense. Il garantit la prise en compte de la fonction renseignement au sein de l’État.
M. Yves Fromion. Je souhaite réagir aux propos de mon collègue Meslot. Je n’ai pas mis en cause nos forces armées. Mon interpellation concernait ceux qui ont déclenché l’intervention.
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