Monday, January 31, 2011

La DCRI est dans la tourmente

D’ordinaire délaissé ou traité par obligation, le renseignement a connu sous la présidence Sarkozy un formidable regain d’intérêt. Il faut en effet porter au crédit du chef de l’État d’avoir initié une large réforme des "services secrets" français dans l’objectif de perfectionner le dispositif existant. En outre, les budgets alloués connaissent une légère croissance, élément précieux alors que nombre d’administrations subissent les conséquences de la rigueur économique. Dans le domaine du renseignement intérieur, la création d’un grand service constitue une avancée remarquable qu’il convient de ne pas minorer. A ce sujet, et contrairement à ce que les observateurs ont écrit, la Direction Centrale du Renseignement Intérieur (DCRI), qui a vu le jour en juillet 2008, ne procède pas de la fusion de la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et de la Direction Centrale des Renseignements Généraux (DCRG), mais de l’absorption par la première d’une grande partie de la seconde.

Pareille action a permis de parfaire la mutualisation des très grandes compétences de la DST et de la DCRG en matière de lutte antiterroriste notamment. La vieille rivalité et le chevauchement des domaines d’action ont désormais cédé le pas à une structure efficace qui compte sans doute parmi les meilleurs services au monde.
Toutefois, nos concitoyens ignorent tout de ces aspects positifs et, fort légitimement, ne retiennent que le parfum de scandale qui nimbe la DCRI. En effet, le service a occupé à plusieurs reprises le devant de la scène médiatique, ternissant son image et gagnant la réputation d’une officine spécialisée dans les "coups tordus". La presse a tour à tour accusé le renseignement intérieur d’enquêter sur les rumeurs concernant la vie privée du président de la République, sur des informations transmises par un membre de cabinet ministériel à un journaliste dans le cadre de l’affaire Bettencourt, de surveiller l’activité de certains journalistes ou même d’espionner des ordinateurs de particuliers.
Ces accusations induisent trois principaux constats : en premier lieu, le renseignement est aujourd’hui victime de la trop grande présidentialisation opérée par Nicolas Sarkozy. Alors que la DCRI répondait à sa mission de contre-ingérence en enquêtant sur les rumeurs concernant la vie privée du président de la République (on ne pouvait en effet pas exclure la possibilité de menées subversives orchestrées par une puissance ou une entité étrangère), alors que le service remplissait son office en débusquant l’origine d’une "fuite" en provenance d’un cabinet ministériel, la trop grande immixtion du Chef de l’État dans les affaires de renseignement a laissé accroire que Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, s’était livré à des pratiques inacceptables pour une démocratie.
En second lieu, les accusations portées par Médiapart et Le Canard Enchaîné à l’encontre d’un service supposé espionner journalistes et citoyens démontrent le poids que les fantasmes ont pris dans la capacité d’appréciation de la thématique du renseignement. En effet, on imagine mal qu’une administration, fût-elle secrète, procède à des actions éminemment délictueuses, aussi intolérables et contraires à toute éthique du renseignement (même s’il paraît établi que l’article 20 de la loi de 1991 sur les interceptions de sécurité a fait l’objet d’une "surinterprétation", les impératifs de lutte antiterroriste ne pouvant s’appliquer à la surveillance d’un membre de cabinet ministériel).
Mais face à certains emportements médiatiques, on stigmatisera tout particulièrement l’extraordinaire béance intellectuelle concernant la culture française du renseignement en France.
Les services de renseignement qui concourent au rayonnement de notre pays, à la défense de notre sécurité et de nos intérêts, ont un cruel besoin que les Français connaissent mieux leurs activités. L’Espagne a parfaitement compris cette nécessité, elle qui vient de voir se tenir le deuxième colloque international consacré au renseignement à Madrid, à l’initiative du CNI (Centre national du renseignement). Les Espagnols, en érigeant le renseignement en discipline universitaire largement enseignée et médiatisée, permettent aux citoyens de se départir de leurs préventions naturelles, de saisir l’utilité capitale des services secrets. La péninsule ibérique nous montre en cela le chemin à suivre tant sur le plan politique qu’universitaire.
Enfin, ce lynchage médiatique, quand bien même serait-il justifié par de réelles actions illégales, ne remplacera jamais le nécessaire contrôle des services de renseignement et de sécurité. Or, la Délégation parlementaire au renseignement n’a aucun réel pouvoir autre que celui d’audition. Elle a rendu public un document de 23 pages, caractérisé par sa totale vacuité et qui ne saurait mériter le nom de rapport ; nous savons qu’elle a également présenté un document classifié au premier ministre, sans que celui-ci ne jouisse d’aucune capacité contraignante.
Pour ne plus être la risée de nombre de ses homologues européens, la France pourrait s’inspirer avec profit de l’exemple belge ; le royaume a créé le Comité R, émanation d’une commission sénatoriale, présidé par un magistrat. Le Comité a connaissance de détails classifiés et opérationnels. Il fonctionne comme un organisme de contrôle que peuvent saisir les parlementaires ou les citoyens qui l’estiment nécessaire (en cas de délit constaté, le Comité R saisit le Procureur du roi). Il réalise également des préconisations à l’endroit des services. Enfin, le Comité transmet un rapport à la commission sénatoriale et aux autorités gouvernementales.
Ce dispositif présente bien des avantages puisqu’il mêle contrôle administratif et parlementaire tout en respectant la confidentialité des matières abordées. Il implique les représentants du peuple dans le détail sans pour autant les doter d’un fort pouvoir inquisitorial. Il représente un compromis entre la culture exécutive et celle de la représentation sans rien céder aux exigences démocratiques. Ainsi, en matière de renseignement, les réformes cardinales restent-elles encore à réaliser. Contrôler les services et expliquer à quoi ils servent ne constituent pas des défis majeurs, mais des défis vitaux pour les services secrets et la démocratie elle-même.

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